Quand je me suis assise à ma place, je craignais de ne pas réussir à m’imprégner de l’univers du Joker, n’étant pas une fine connaisseuse en matière de comics (il faut que je revoie ma culture dans ce domaine, je sais…!) Erreur de ma part ! Dès le départ, j’ai quitté mon séant pour aller rejoindre les tribulations machiavéliques du Joker.


Ce film réalisé par Todd Phillips nous plonge dans les méandres psychologiques d’un homme sombrant progressivement dans la folie, un certain Arthur Fleck brillamment interprété par Joaquim Phœnix, qui a d’ailleurs toutes les raisons de perdre la boule puisque sa mère a résolument coupé tout contact avec le monde tangible. Dans la vie de tous les jours, Arthur revêt le costume de clown. Il déambule dans les rues, il se trémousse dans les hôpitaux et subit malgré lui les moqueries, voire les attaques des passants qui croisent sa route. Humilié par ses semblables, il s’enferme dans une bulle de mutisme interrompue par quelques fous-rire inquiétants.
Cet individu à la fois dérangeant et charismatique possède des caractéristiques personnelles éminemment singulières : il ne peut s’empêcher de se gondoler lorsqu’il se retrouve dans des situations extrêmement délicates, ce qui a pour effet qu’il ne passe jamais inaperçu. Cette approche des troubles neurologiques d’un homme se noyant dans la décadence nous incite à nous questionner sur le rire, lequel masque souvent une souffrance profonde. Le rire est en fait une arme dont on se sert en société afin de nous protéger d’éventuels coups que l’on pourrait recevoir, il nous donne la clef nous permettant de remplir un rôle, c’est-à-dire une “fonction” qui non seulement cache notre être intérieur mais plaide contre la dépression.


Et la dépression a frappé Fleck en plein cœur : orphelin de père, ayant visiblement subi les violences de sa mère, il tient une sorte de journal intime qui se présente comme son seul véritable ami à qui il confie son désir de mourir. Ses rares et “prétendus” amis ne semblent pas plus le comprendre que ses ennemis. On le considère comme une créature à part, comme un OVNI incapable de se fondre avec la race humaine. Ce solitaire continue de faire marcher la routine, en habitant dans un sombre appartement auprès de sa mère qui lui relate une vieille histoire d’amour qui date d’il y a plus de 30 ans et dont la conduite introduit les entourloupes démoniaques de celui qui va bientôt prendre le nom de Joker. Cette douleur morale repliée sur elle-même et à laquelle on ne trouve aucun remède se transforme au fur et à mesure en un cynisme absolu qui va de pair avec une absence totale d’empathie. De victime, Joker devient bourreau et décide de reprendre sa vie en main en éliminant les gens qui osent affecter sa sensibilité hautement narcissique. Croyant se trouver dans une totale impasse après avoir essuyé autant d’échecs, étant le jouet d’une société individualiste manquant de fraternité, l’unique remède consiste à se déguiser, en se substituant en quelque sorte l’anonymat. Arthur Fleck était “personne”, il va enfin être quelqu’un en se créant son propre personnage. Cela lui donne un alibi de taille pour se venger des coups qu’on lui a assénés.


De la misère d’une existence sans fards à la décadence jouissive, le sulfureux antagoniste n’a pas hésité à choisir son camp. De la maladie mentale à la folie meurtrière, il n’y a qu’un pas. Se considérant comme dépolitisé, son idéologie se rapproche d’une certaine forme d’anarchie, contrairement à Batman qui vient au secours des hommes, se portant garant de la stabilité sociale et qui fera office de pire ennemi du Joker, des années plus tard. Bien qu’il affirme n’avoir d’autre but que celui de prêter les gens à sourire, même s’il ne se dit d’aucun parti cet anti-héros se mêle curieusement avec les manifestants qui clament leur indignation envers les hautes autorités publiques et plus spécifiquement les classes aisées. Joker serait-il donc un révolutionnaire au même titre que les milliers de clowns qui se frictionnent dans la rue ? Non, je ne pense pas. Car les clowns rebelles s’unissent contre le pouvoir despotique, contre le capitalisme américain. On retrouve encore une certaine cohésion sociale chez ces anonymes furieux (ils portent un masque). Le Joker, lui, se fiche royalement de cette adhésion apparente, se fructifiant dans la lutte. Il se sert simplement d’un camouflage, comme les révolutionnaires, pour se donner le droit d’exister.


Grâce à une mise en scène parfaitement maîtrisée, nous immergeons dans une ambiance complètement oppressante, étant les proies du Joker malgré nous. Les couleurs très vives voire criardes attisent notre regard, la caméra suit les traces d’un psychopathe libéré en pleine nature livré à la jungle humaine et découvrant qu’il n’est réellement heureux qu’en voyant des quidams crever devant lui et des voitures prendre feu.
Todd Phillips a bien respecté l’univers des comics et est resté fidèle au personnage du Joker, aussi séduisant que redoutable. En bref, si vous voulez expérimenter un pur moment de cinéma, amateurs de sensations spectaculaires que vous êtes, si vous répondez au profil de l'hédoniste en recherche de jouissance, allez voir Joker 2019 !

LolaGridovski
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le 16 oct. 2019

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LolaGridovski

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