L’envie créatrice ne manquait pas à Andy Warhol de fabriquer des films. Pourtant comme il le déclarait lui-même, le célèbre artiste pop art échouait à raconter une histoire. Jens Jørgen Thorsen est-il un mauvais réalisateur ou Henry Miller un mauvais écrivain ? La tromperie est grande et questionne.


Jours tranquilles à Clichy relate les aventures libertines du soir au petit matin de deux parisiens américains Carl et Joë, aussi écrivains, sans le sou le plus souvent car dépensé aux putes.


L’adaptation excessivement fidèle et chaotique du roman sulfureux d’Henry Miller est transposée des années folles au début des années 70 et de la contre-culture hippie, sous la houlette du cinéaste danois avant que le frenchie Claude Chabrol ne se tente à relever le défi apparemment vain, en 1990.


Bizarrerie cinématographique faussement intello ou volontairement délurée, notre regard se confronte à un monde psychédélique en noir et blanc. L’affiche du film est à s’y méprendre une inspiration du Godard Bande à part. Dans la rue, une jeune femme court seins nus au-devant de nos deux héros qui la désirent ardemment. Les pavés de la capitale ne resteraient pas longtemps à leur place si le féminisme passait par-là…


L’image est au choix parasitée/accessoirisée/magnifiée par les indications textuelles à l’écran à l’effet de présenter un personnage, retranscrire ses pensées, situer un lieu ou apposer directement tantôt sur fond noir tantôt sur la scène en action les lignes originales tirées du roman. Ajoutez à cela le procédé du roman-photo et la voix off de Joë à plusieurs reprises. Jens Jørgen Thorsen jouit d’une charmante arnaque à nous titiller au jeu de la roulette auquel nous ne sommes pas sûrs de survivre au prochain plan de gadgets pas toujours utiles…


La disharmonie s’accentue avec une mise en scène drôlement simpliste propre aux mauvais pornos durant les scènes d’amour, aussi explicites qu’elles le sont par écrit de la plume osée de ce cher Henry Miller à son époque. Les rues de Paris illuminées le soir et bruyantes le jour insufflent une fraîcheur plus spontanée de filmer sur le vif.


La séduction voulue par l’image agit aussi par la musique. Le morceau titre "Quiet Days in Clichy" de Country Joe McDonald respire la folk seventies et restitue le plus fidèlement encore le roman et pour cause, les paroles sont les actions qu’exécutent les personnages en temps réel.


L’ambiance folk s’associe de préférence avec la multitude de galipettes, tandis que le jazz s’accorde volontiers au roman-photo d’un séjour improvisé au Luxembourg des néo-parisiens en fuite de représailles scandaleux. L’accordéon typiquement franchouillard nous replonge dans le classique des années 50 style Jean-Pierre Melville toutefois malmené et le rock psychédélique conclue notamment un soir de beuverie lors d’un échange particulièrement savoureux parce qu’insensé, loufoque mais à l’image branlante totale du film. Un verre de vin à la main (nullement de bière ici), Carl s’adresse à une nouvelle conquête autour de la table avec pour mission de savoir si son mari est un bon coup : "Tell me Christine, your husband, is he a good fucker…”, “My husband is dead.”, “Dead? I love you!”. Ironie du sort, la pauvre Christine pleure son mari dans la séquence d’après au prémisse de l’acte sexuel. Comédie noire, trip orgiaque déjanté, les Jours tranquilles à Clichy ne le sont clairement pas. La solitude poétique de Miller dépeinte le soir sur les quais ou à l’aube sur les hauteurs de Montmartre manque cruellement au faiseur danois qui enchaîne les panoramas à la lettre et éteint le peu de repos apaisant du contexte d’origine des années 20 issu du roman.


Nous pouvons nous rattacher à la véracité des décors naturels dans une volonté d’appartenance au courant de la Nouvelle-Vague certes révolutionnaire, comparé à Claude Chabrol son successeur immergé vers une tout autre tonalité. Sa version semble se rapprocher de Henry & June de Philip Kaufman, fondé sur l’exactitude reconstitution historique et d’une œuvre plus complète sur le fond comme sur la forme quoique romancée. Si la mauvaise réputation de ce Chabrol se confirme à mon visionnage, nous nous retrouvons avec l’acte manqué Le Nouveau Monde d’Alain Corneau dans le pari de mêler deux cultures qui n’arrivent pas à communier ensemble : le glamour de son casting américain et le savoir-faire du cinéma français.

Pauline-Sapis
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le 22 oct. 2021

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Pauline S.

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