Petite leçon de cuisine cinématographique par tonton Manki

Réalisateurs en panne d’inspiration ? Ne cherchez plus, arrêtez de ruminer dans votre coin, et venez apprendre la méthode Mankiewicz tout en douceur. La recette est simple : une histoire puissante et réputée, des acteurs étincelants, une réalisation soignée qui ne prend pas le pas sur le récit, des dialogues savamment écrits et déclamés avec verve et énergie.


Pour ce qui est de la trame du film, Mankiewicz est allé taper dans le gros classique que tout le monde connaît, enfin, j’extrapole beaucoup malheureusement à mon avis…
M’enfin bon, je suppute que les quelques béotiens qui n’ont jamais entendu parler de l’assassinat de César ourdi par Cassius, Brutus et autres conspirateurs ne doivent pas être très nombreux dans notre chère contrée qu’est Sens critique.
La trame, typiquement dans le genre d’une tragédie, prend donc place autour du meurtre de César puis sur l’affrontement entre le clan de Brutus et la coalition Antoine-Octave qui s’avèrera plus que fragile comme l’Histoire nous l’a montré.

Pour autant, un des éléments qu’on retient surtout de Jules César, c’est le format très verbeux du film, certes comme on en a l’habitude avec Mankiewicz, mais qui semble ici transposer littéralement la pièce de Shakespeare mot pour mot sous nos frêles yeux, tant les dialogues semblent être calqués d’une pièce de théâtre. Chose qu’on, vous pourrez me l’accorder, n’a pas trop l’habitude de voir. Le vocabulaire employé est riche, les belles tirades se succédant les unes aux autres pour notre plus grand plaisir de fin gourmet, et chose notable, sans ennuyer le moins du monde. Et foutredieu ça fait du bien un film sur l’antiquité de ce genre, loin de ces usuels étalages de testostérones et d’huiles corporelles.

De même, que serait un film bien écrit sans de grands acteurs pour les prononcer ? Pas grand chose sans doute me direz vous, et bien Manki a prévu le coup, entre un baron et un jeune loup, le casting assure.
D’un côté le flegmatique dandy James Manson à la diction reconnaissable entre mille est toujours aussi impeccable dans ses apparitions et campe ici un Brutus attachant et humain, remplis de doutes et de questionnements, agissant par conviction avec face à lui un jeune Marlon Brando aux traits marqués, d’un visage transpirant le charisme à chaque instant, au regard si unique. Il incarne dans le cas présent face à James Manson, Antoine fidèle compagnon de César.
C’est ainsi un duel entre deux monuments qui va être le centre du film, certes en oubliant pas les autres participants tel un Cassius joué par John Gielgud, personnage frustré et jaloux, véritable instigateur de cette fronde assassine envers un César accusé d’hubris, grief plus que sérieux à cette époque, où le souvenir de la monarchie et le règne de Tarquin le Superbe étant toujours en mémoire malgré les siècles.

Un des éléments intrinsèque aux grands films, est leur capacité à graver en mémoire certaines scènes dans la tête du spectateur. Souvenir pouvant toujours refaire surface plusieurs années après le visionnage des dits films. Et c’est le cas ici, notamment au moment de la scène névralgique du long métrage, la harangue d’Antoine qui suit le discours explicatif de Brutus ayant pour vocation de calmer le peuple. Certes aidé par un texte de haute volé, Marlon Brando démontre ici toute l’ampleur de son talent à travers ce vibrant discours chargé d’énergie et d’émotion, et en démontant au passage par une belle maitrise de l’art de la rhétorique (contrairement à ce qu’il clame à son auditoire) le tribun l’ayant précédé, ainsi qu’en manipulant, orientant son public, jouant sur la versatilité du peuple, changeant d’avis comme de chemise (ou plutôt de toge). Et en fin de compte, ce que disait en son temps Jean Bodin se vérifie dans le film (et même en dehors), « le peuple est une bête à plusieurs têtes sans jugement et sans raison ».

Et enfin, avec ces quelques éléments, saupoudrez le tout d’une réalisation qui peut paraître discrète mais qui se révèle entièrement maitrisée. On le voit, Joseph n’est pas un manche avec une caméra à la main, et long métrage théâtrale ou pas, le côté technique est au rendez vous, travellings, plans séquences, jeux sur les zooms, avec un tout au service du jeu des personnages. Donc pas du tape à l’œil superficiel comme certains réalisateurs le font en oubliant souvent l’essentiel, le fond.


Un Mankiewicz peu connu par rapport au reste de sa filmographie, mais qui mérite amplement le coup d’œil, amoureux de tragédies, de pièces de théâtres ou même tout simplement de bons films, lancez vous.



PS : Un film antique en latin ça aurait eu de la gueule, mais bon j’en demande sans doute trop

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le 15 oct. 2014

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