Belle décalcomanie !, tel est le ressenti.
Décalcomanie de Jurassic Park, Jurassic World est aussi la décalcomanie de la postlogie de Star Wars. Comme Le Réveil de la Force reprisait La Guerre des étoiles, Jurassic World paraphrasait Jurassic Park. Comme Les Derniers Jedi, Fallen Kingdom change totalement la donne.
La différence ?
Jurassic World ose tous les fantasmes des spectateurs Jurassic Park là où Star Wars en impose de nouveaux aux spectateurs des trilogies précédentes et brise le mythe.


Fallen kingdom pastiche son aîné Le Monde perdu mais aussi le dépasse. Il y a dans ce nouveau Jurassic World un sentiment de monde irréversiblement changé, entraîné par un changement inattendu du cours de la saga initiée par Maître Spielberg.
La vie trouvant toujours une voie, une voie extraordinaire ...



Fins des mondes



Ce nouvel opus porte extrêmement bien son titre: Fallen kingdom. Un -s désinentiel ne fût pas superflu.
Sa première partie est tout simplement géniale, annonciatrice de la fin du film, qui fait intervenir un adversaire inattendu et pourtant bien présent dans le premier film de Steven Spielberg: le volcan de l'île Nublar. Monstre naturel qui, jadis, contribua à la disparition des dinosaures, le Vulcain minéral se réveille et crache ses nuages grisâtres et ses coulées de lave jusque sur le titre du film. Cela occasionne d'époustouflants visuels et plonge les héros et héroïnes dans un combat vieux d'un temps qui n'a connu aucun singe savant.
Un spectacle grandiose un moment éloigné par des scènes de vie quotidiennes des héros censées nous rabibocher avec eux.Un spectacle beau, terrible et triste, parfaite définition du sublime, s'achevant sur un diplodocus mourant, geignant parmi le brasier, emporté par les masses de fumées nébuleuses. Un spectacle prenant qui amorce aussi le questionnement de la responsabilité de l'Homme dans son rapport au monde et à la science. Doit-on sauver les dinosaures ?
Ou doit-on accepter que nous sommes devenus leurs égaux dans un monde apocalyptique ?


Car si l'on pense un temps que Bayona se contente de détruire l'île mythique de la saga, Isla Numblar, pour la rayer des nouveaux chapitres comme Abrams fit exploser Coruscant, on comprend à la fin qu'il allume en réalité un feu qui se propagera sur la terre entière. Enfin, il n'y a plus de parc, il y a un monde revenu à l'âge jurassique !
Il y a donc bien deux empires chancelants: l'île aux dinosaures et l'empire humain, relégué à la préhistoire.


Fallen kingdom, ambiance Dante, invoque l'image actuellement obsédante de fin du monde
Une image obsédante de fin du monde au cinéma que l'on retrouve dans Thor Ragnarok, dans Infinity War, dans bien des films modernes. Y aurait-il un sentiment de monde mourant dans l'esprit de nos concitoyens du monde ?



Transhumanist World



Il y a surtout un sentiment de monde instable, étouffé par les nouvelles technologies, le réchauffement climatique, les crises économiques, le terrorisme et la terreur inverse à celle du Moyen-Âge, celle de la surpopulation terrestre.
Il y a surtout la génération digitale et ses apôtres qui regardent avec hauteur et dédain un passé auquel ils ne peuvent se soustraire mais qui doit être représenté comme enfant et mièvre. Il y a aussi les générations d'avant la nouvelle Révolution industrielle, souvent perdu dans ce flux constant de modernité, dans ce déluge numérique.
Tout cela participe de cette ambiance très particulière de Fallen Kingdom en symbiose avec son temps idéologiquement déchiré qui mêle sauvetage d'animaux en voie de disparition et création d'un nouveau dinosaure, génétiquement modifié à l'aide de la technologie de pointe la plus sophistiquée.
L'Homme devient l'androïde de Prometheus et ce n'est que l'un des points communs jouissifs de Fallen Kingdom avec l'univers d'Alien !
L'Homme tue de manière effroyable. Si effroyable qu'il devient souvent l'égal du dinosaure. Il tue ces monstres du passé mais il tue aussi son semblable.
Comme das cette scène où la petite Maisie se cache de son tuteurs et de ses complices d'une manière en tout point semblable à celle employée par Lex et Tim dans Jurassic Park pour se dissimuler au regard des raptors. L'Homme faisant office de dinosaure à tel point que la jeune fille ne sait plus qui craindre le plus entre l'associé de son grand-père et l'indoraptor retenu dans une cage.
Comme dans la scène où, par un jeu de reflets ingénieux, s'épousent parfaitement le visage de Maisie et la gueule de l'indoraptor.
L'Homme est un reptile, un prédateur prêt à tout pour son intérêt financier. Jurassic World instaure ainsi un marché du dinosaure, une sinistre vente aux enchères menée par un Toby Jones plus dégoulinant de malveillance que jamais.On vent, on achète, on estime les monstres, changés en bêtes de foire, réifiés en produits de consommation. Un réquisitoire sans concession des dérives folles du capitalisme dont le seul défaut est de réduire les dinosaures à de simples animaux de zoo avant de leur rendre leur superbe en fin de film.


On blesse le raptor Blue avec une simple balle, on promène des tricératops en laisse mais on voit bien un tyrannosaure gagner un duel de cris de guerre avec le Roi des animaux.


En somme l'Homme ressemble au dinosaure, régressant de l'animal politique, qui parle, débat et convainc à l'animal financier qui compte, surenchérit, se constitue un capital au détriment des autres. Rien ne le distingue vraiment du T-Rex si ce n'est qu'il est moins cru et moins direct.
L'Homme pourrait n'être qu'un nouveau dinosaure mais il est hélas bien plus. Car il invente, il apprend, il fabrique, il construit, il érige, il bâtit. Plus encore, il crée ! A l'image d'un narrataire lassé de la simple résurrection des dinosaures, il ne se contente plus de ramener les monstres des temps anciens à la vie, il ajoute de nouvelles espèces à celles créées par la nature ! Des monstres devenus des monstres pour les monstres !
Et dans tout cela, l'Homme devient lui-même un monstre !


L'Homme va jusqu'à ressusciter les morts en clonant des êtres disparus en suivant le modus operandi d'Hammond pour les dinosaures. Maisie est en effet un clone d'une fille disparue. Du moins ce point reste-t-il un peu obscur et Fallen Kingdom exploite trop furtivement le thème pour sans doute mieux l'utiliser dans un volet futur.


Pour autant, Bayona ne convoque l'hégémonie humaine et n'évoque une forme de trans-humanisme que pour mieux redonner la suprématie aux dinosaures et cela par le biais d'un choix narratif qui peut autant plaire que déplaire...



Jurassic Hall



La deuxième partie du film privilégie de le sentiment de traque et de peur et choisit de transformer le dinosaure en croque-mitaine.
Ce qui peu déplaire, c'est le choix du cadre: un vieux manoir soudain hanté de dinosaures ! C'est un peu le Skyfall Lodge de John Hammond qui aura vu la naissance de l'idée du parc. Mais c'est surtout le manoir de son ami au nom si parlant, Lockwood: le verrou de la forêt. Celui qui, forcé,


laissera les dinosaures s'installer partout sur le globe et qui


laisse entrer le Grand Méchant Loup dans la maison du petit Chaperon Rouge.


Un petit Chaperon Rouge qui est Maisie, évidemment, mais aussi Owen, Claire et leurs adversaires.
Parmi eux, l'excellent Ted Levine, que l'on connaît mieux pour Fast & Furious, Wild Wild West et surtout le rôle du Capitaine Leland Stottlemeyer de Monk. Cruel, viril et sans pitié, voilà le militaire sur-entraîné tout petit devant l'indo-raptor ! C'est avec lui, dans une prestation valant bien celle de son prédécesseur du Monde perdu, que nous découvrons le nouvel hybride sous son vrai jour: rusé, stratège, redoutable !
Dès cette entrée en scène terrifiante, l'indoraptor n'est que griffes, à l'instar du fantôme d'Insidious 4, et dents serrées par haine proche des joues implorantes, ce qui n'est pas sans rappeler la créature d'Alien !
Bayona poursuit le triste élément déceptif de Jurassic World, celui du nouvel hybride, métaphore de la nouvelle suite condamnée à la surenchère mais s'en empare pour la présenter de manière plus intéressante, dans l'esprit des anciens films et de manière inédite. Bayona a osé la rencontre folle, à l'écueil nanardesque, de Jurassic World et de du slasher, comme Alien l'a fait du genre du film d'extra-terrestre et du même slasher presque 40 ans plus tôt !
Une performance qui est tout de même à applaudir mais qui n'est pas du goût de tout le monde.



Jurassic Stars



Vous vous demandez sûrement, en lisant ces mots, ce qu'il peut bien y avoir de négatif dans ce film.
Soit, on relance l'idée saugrenue de l'Hybride super-technologique et OGM.
Soit, la rencontre des raptors et du slasher dans un vieux manoir peut laisser perplexe ou même mitigé.
Soit le film peine à se mettre en place au début avant de livrer ses belles flammes.
Mais est-ce cela qui me chagrine tant ?


Le positionnement de Trevorrow, scénariste, n'est pas clair: entre passé et futur, il faut choisir.
Plus d'une fois, on noie et on écrase les atouts de la technologie. Mais sans elle, au départ, comme le rappelle le grand méchant du film, pas de parc, pas de dinosaure, pas d'histoire. Le raptor naturel tue la créature de l'Homme. Mais cet hybride a permis une sacrée belle séquence de frayeur digne du premier opus.


La fin du film pose le retour du jurassique que le Pr Ian Malcolm nomme "l'aube d'une nouvelle ère jurassique". Le passé hyper-archaïque a-t-il pris le pas sur le futur ultra-technologique ou le futur est-il une nouvelle version du passé ? L'Homme n'a-t-il reçu ses capacités que pour ramener le monde à son ordre originel ?


Voilà un paradoxe et une conception inédite du futur très intéressants philosophiquement. Mail ils s'accompagnent d'un chaos des temporalités, d'une indécision du statut réel de la temporalité qui ne manquera pas de marquer le prochain volet des aventures de Jurassic World.


Je vous entends ! Je vous entends !
Le Vrai paradoxe est de ne soulever finalement que des défauts qui sont autant de qualités !


Là où gît vraiment le lièvre, c'est dans le gros mensonge censé attiré les fans de Jurassic Park.
Jurassic World II, c'est une décalcomanie réussie du Monde perdu mais une décalcomanie tout de même.
Symptôme trop commun dans les sagas actuelles, soit on donne dans la redite absolue, soit on donne dans l'iconoclasme le plus excrémentiel qui éloigne bien trop l'oeuvre de l'oeuvre. Tour de force de la stupidité, certains volets de saga font à la fois et l'un et l'autre, comme Les Derniers Jedi.
Fallen Kingdom, lui, frôle de peu cet écueil mais choisit de privilégier le fantasme de fan à l'iconoclasme dans le choix de sa transformation radicale de l'univers de la franchise.
C'est bien. Cela dit, en apercevant Jeff Goldblum dans la bande-annonce, on s'était pris à rêver que cet instant qui tutoie un inconnu que l'on voulait depuis si longtemps explorer se fasse en compagnie des grands noms de Jurassic Park.


Or, point de grand retour !
Tout au plus Ian Malcolm vient-il pérorer en début et fin de film dans le rôle d'une Cassandre fatiguée. S'il partageait depuis toujours les idées noires de l'héroïne mythologique, on l'avait connu plus présent, ponctuant de son pessimisme et de son scepticisme teinté d'ironie et de science les péripéties de l'intrigue.
A l'heure où Harrison Ford reprend ses rôles de Han Solo et Rick Deckard, où le Terminator d'Arnold Schwarzenegger is back, où Mark Hamill, Billy Dee Williams, Frank Oz et Carrie Fisher reprennent leurs rôles dans Star Wars, où l'on ressuscite Peter Cushing, où l'on a envisagé le retour de Sean Connery dans le rôle de Kincade au casting d'un James Bond, on aurait pu espérer le retour des héros originaux aux côtés des nouveaux héros !
D'autant que Laura Dern a réapparu récemment dans Star Wars et que Jeff Goldblum avait la permission de quitter l'Anus de Satan ...
On peut néanmoins espérer les revoir, si possible accompagnés de Sam Neill, dans le prochain opus qui, lui, préparé par ce Jurassic World de transition, fera exploser l'écran des salles obscures !


Reste que le casting d'exception parmi les légendes du passé ne privilégie à tout prendre que James Cromwell ... dans un rôle de pseudo-Hammond sorti de nulle part ...
Jeff Goldblum n'a fait qu'un petit coucou et la grande Géraldine Chaplin, plus présente, se fond dans le décor. Si fort puisse être à plus d'un titre, Fallen Kingdom aurait pu mieux exploiter ces deux monstres ... du cinéma !



https://www.youtube.com/watch?v=_TtHrCiEq58



Un excellent Jurassic World, meilleur que le précédent opus mais qui reste bien trop dans l'imitation et qui n'exploite le potentiel de son merveilleux casting que de façon trop inégale.


                                                   ***

Addendi (notes subsidiaires et complémentaires ajoutées par la suite)


Je confirme un sentiment très positif à l'égard d'un volet de Jurassic World qui remet les perspectives en place.
Nous pensons toujours le futur en termes de technologie destructrice dépassant son créateur et Fallen Kingdom renvoie à cette phrase de Valéry: "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles". Et si ce qui semble un passé révolu prenait le pas sur notre futur fantasmé ?
Jurassic World reproduit selon moi, avec ce deuxième volet, la force de l'intrigue du premier volet: on pourrait se demander si, la vie trouvant toujours une voie, la nature n'a pas guidé l'Homme vers le retour des dinosaures. Comme si l'Homme n'était qu'une courte transition destinée à ramener ce que le feu et la glace avait par mégarde effacé... Car après tout, c'est la nature qui a piégé dans l'ambre des mouches porteuses de l'ADN des dinosaures et cette même nature qui a permis l'évolution scientifique humaine. Enfin, c'est un volcan qui force les humains à déplacer les dinosaures hors de l'île. Fallen Kingdom a du moins cet intérêt de stimuler bien plus que le dernier volet.

Frenhofer
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Au bout d'une heure de film ... et Box-office Mondial 2018

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le 26 août 2018

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