Bon, il va me falloir une bonne dose de doudous visuels pour me remettre de Jusqu'à la Garde.
Une excellente description par Marius dans le non moins excellent podcast Silence On Joue! de chez Libération résume très bien le film :
Pour le paraphraser, ça commence comme du Depardon, pour glisser vers Shining, à travers le prisme glacial de l'horreur du quotidien. J'aurais ajouté personnellement dans ce descriptif une pointe de Gaspar Noé, mais au détail près que Noé nous sort de l'horreur par l'excès, là où Xavier Legrand nous laisse impitoyablement aux frontières internes du réel, du possible, du vécu, sans nous offrir l'échappatoire du baroque cradingue de Noé.


Le film fait vraisemblablement suite au premier long métrage du réalisateur (même prénom de personnages, mêmes acteurs... je doute que ce soit dû au hasard ou par manque d'imagination de la part de Legrand) , que je n'ai pas vu.
Et loin d'être un handicap, ça m'a au contraire permis une approche "vierge", en intensifiant le malaise et l'ambiguité du postulat de départ, en n'ayant comme donnée qu'un titre parfaitement choisi, à la fois annonce d'un programme et en même temps d'une violence implicite extrême. Dès le titre, en fait tout est dit, dans les marges.


Un couple se sépare, et se dispute la garde des enfants, sujet presque trivial tant il est inscrit dans le quotidien de tous, soit directement, soit par procuration.
Tout s'ouvre sur un audience qui laisse planer le doute. D'un coté une femme qui refuse le dialogue, madame Besson, et qui accuse son ex-mari de violence. On lit une déposition du jeune enfant de 12 ans qui ne veut pas aller chez son père. On se met à son corps défendant à suspecter la famille de la mère de mettre des idées dans la tête du gosse, d'avoir dicté la lettre. De son coté, M. Besson, ouvrier massif avec un visage mi-doux mi-psychopathe, est calme, et semble ouvert au dialogue, veut juste une garde partagée, selon son avocate, récuse toutes les accusations sous-entendues. On a envie d'y croire, mais là aussi le doute plane.
La lettre du petit, une blessure au poignet de la grande avec constat de l'infirmière.


Cette audience pose déjà le malaise à venir, car, vu de l'extérieur, impossible de trancher, du moins pour moi, qui n'ai pas vu le premier et dont j'ignore le contenu. Dans cette affaire, je me suis retrouvé non pas narrateur omniscient mais plutôt dans les inconfortables robes de la juge, qui doit précisément trancher via ces éléments. Comme elle le dit, elle essaie de savoir quel parti lui ment le plus.
Le mutisme de Mme Besson n'aide pas, elle refuse tout contact, semble s'interposer, faire tampon pour éliminer toute possibilité de contact entre le père et ses enfants.
On se dit naïvement que tout pourrait s'arranger si elle discutait "une bonne fois pour toutes" avec le père.


Mais se dire ça, c'est n'avoir jamais vécu cette situation, ne pas savoir si elle a essayé de dialoguer, combien de fois, si le silence n'est pas la dernière solution qu'elle a trouvé pour échapper à l'emprise d'un mari qui n'accepte pas la situation.
Et condamner le père est tout aussi cavalier, car on ne sait pas s'il est accusé à tort, on ne sait rien de sa bonne foi. Utilise-t-il le gamin à la façon d'un pervers narcissique, faisant spectacle de sa souffrance pour mieux manipuler ? Est-il simplement en train de se battre pour ses enfants, contre les mensonges de son ex-femme, comme il l'affirme ?


Et le réalisateur va désambiguïser la situation, dans un climat de tension parfois à la limite du supportable, et dans un crescendo qui ne laisse pas indemne.


En dire plus, serait en dire trop, donc une fois n'est pas coutume, je me contenterai de conseiller ce film. Et je retourne regarder Totoro pour me remettre de mes émotions (... ou peut-être un film d'horreur, où rien est vrai, tout est permis...)

toma_uberwenig
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le 18 mars 2022

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toma Uberwenig

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