Dolan énerve, Dolan fascine. Jeune prodige du cinéma québécois, coqueluche de Cannes, il sut s’imposer rapidement dans un rôle d’écorché vif glamour, une sorte de Justin Bieber christique pour certains. Arrive son sixième film pour presque autant de participation à la course à la palme et, en partie, son premier revers critique.


Au moins j’y suis allé avec le minimum d’attente, certainement pas neutre mais avec un taux de hype négatif. Les faits : un dramaturge cérébré célébré, évidement homo, revient après douze ans dans sa famille plus modeste dont on devine rapidement les raisons de l’éloignement. Le message à passer est simple : je vais clamser. Sida ? Cancer ? On n’en sait rien, on ne connaît que l’urgence laissant une béatitude expression de détachement sur Gaspard Ulliel. Non-jeu ? Peut-être. Arrive alors après le maximum de temps possible la rencontre, une après-midi, avec la sœur, la mère, le frère et sa belle-sœur. La discussion s’engage, le brouhaha commence, les gros plans sur les visages s’enchaînent.


Je m’attendais à deux choses ici, le choc du texte de Jean-Luc Lagarde et une autoparodie du style Dolanien prophétisée par à peu près toutes les critiques lues en amont. Soit on n’a pas vu le même film, soit j’ai des fils qui se touchent, mais j’ai eu le sentiment exactement inverse. Comprenons-nous, on est devant un groupe d’individus dysfonctionnels au possible, au statut de cas d’école de Palo Alto (l’école de Palo Alto étant une série de recherches et d’articles étudiant les dissonances entre la pensée et la parole, ce que l’on veut exprimer et ce que l’on finit par réellement dire, son impact sur le théâtre a commencé avec « De l’influence des rayons gamma sur la pousse des marguerites » et a continué avec à peu près tous les huis clos présentant une famille déchirée). Ça jacasse beaucoup pour mieux tourner en rond. Enervant. Douloureux dans les propos mais énervant. C’est un film sur l’échec de la communication verbale, ce qui tombe très bien car c’est un film, donc une communication par l’image.


Et c’est là, ça aura mis le temps mais c’est là que Dolan apparait, l’obsédé formel jouant avec les cadres dans Tom à la ferme et Mommy, reprenant ses très gros plans avec un gros flou d’arrière-plan des amours imaginaires. Ce détachement de la parole se montre par les gros plans sur les visages, volontaires, ne laissant les plans de deux ou plus qu’aux (rares) moment où le courant passe entre deux personnages. Prenons une scène dans une voiture entre le frère joué par l’animal Cassel et notre héros, tentative de communication, plan de deux, puis rupture, échec, monologue de Cassel qui fait passer aux gros plans sur les visages où le reste de l’univers disparaît dans un profond flou d’arrière-plan (un beau bokeh bien photographique), enfin la conversation stérile, le non-dialogue s’épuise et une musique apparaît pour bouffer les mots de Vincent alors blabla inutile. Il n’y a guère dans les souvenirs que l’image se fait nette, que l’on ose les plans idylliques avec une profondeur de champ qui ne sent pas la myopie prononcée.


Les gros plans et le champ-contrechamp sont ici un vrai parti pris. Dans la critique ciné, il y a une espèce de rejet de ce principe par trop ressassé, un peu comme être et avoir mal vu en littérature, mais en l’espèce cela isole ces animaux dans le cadre, chaque acteur dans sa cage sauf lorsqu’il arrive à pénétrer celle de l’autre dans de rares éclaircies au milieu du bruyant orage. Plus qu’occuper le cadre, les têtes prennent 75% de l’espace alors que le quart restant n’est pas palpable. Une preuve de mes théories ? La poignée de main du début entre Cotillard et Ulliel, évoqué, centre de la discussion un instant même, mais pas montrée pour préférer ne pas rompre la monotonie de cinq minutes de champ-contrechamp. On touche au film à dispositif, lassant peut-être mais décidément intéressant, coupez le son et on comprend quand même chaque enjeu.


Après, reste les fautes, le texte joué trop théâtral par certains (Seydoux, pour pas balancer), pas un problème en soi mais ça tranche un peu trop face au jeu plus incarné des autres, Cassel en tête, ou la structure simpliste, 4 personnages à affronter, 4 duels verbaux, une intro et une conclusion, les délires clipesques frôlants le montage d’attraction et les musiques un brin has been (volontaire pour O-Zone, tube de l’année 2004 rappelant au héros son enfance, une manière de rajeunir de vingt ans un texte qui en a vingt et un), Nathalie Baye rappelle Anne Dorval, la fin que je noterai sans hésiter métaphore moisie/20… La note, Juste la fin du monde est typiquement le genre de film que je suis heureux de ne pas avoir à noter. Je l’ai aimé, il transcende le théâtre, prouve la plus-value du passage par la case ciné. Ce n’est pas un simulateur d’engueulade familiale de plus, c’est un beau film que seul le peu d’affections que j’avais pour ses caractères à mi-chemin entre le dilemme du hérisson et le cervelas ravagé m’a retenu de me laisser emporter comme avant mais -et je vais immédiatement regretter cette conclusion – c’est pas la fin du monde.


*Pour une fois le Grill n’est pas d’accord, si vous voulez avoir un autre point de vue sur le film. Retrouvez l’avis de mon camarade Willard ici


Critique issue de : http://cinematogrill.fr/juste-la-fin-du-monde-on-a-aime/

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le 23 sept. 2016

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