C'est un premier film..., c'est un film de jeunesse (réa de 27 ans, donc très jeune), et c'est une merveille, encore une fois, le cinéma chinois est au top de la forme depuis cette décennie, avec une variété et une force, une productivité immense. Le geste de Bi Gan est d'une grande souplesse, on sent bien toute la balance qu'il faut à un réalisateur-poète pour coordonner à la fois une histoire (même si elle sert plus de prétexte à l'évasion ici) et à la poésie qui au contraire, ne raconte plus rien sinon des sensations. La première partie du film, dans les cavernes et les tunnels de la ville rappelle l’envoûtement du Chiens errants, tout en exposant de jolis clins d’œil à Stalker (les mouvements de caméra, les éléments, les entées de champs, le tunnel) et au Mépris (le faux générique commenté). Cette première partie est passionnante et très riche, mêmes si elle a tendance à être trop évasive et à fuir les réelles questions, ou du moins les aborder juste ce qu'il faut pour ne pas être out.
Assez bavard dans ses débuts, le film parvient à se recentrer sur sa réelle ambition, la poésie, et les texte de Bi Gan, tout comme le titre du film (Pique-nique au bord de la route, autre référence à Stalker), assez mal transcrits, renvoient à l'incapacité de notre langue à saisir la beauté et la simplicité de la poésie chinoise, qui s'épargne beaucoup de fioritures, plus terre à terre mais pas moins spirituelle. Les images que l'on parvient cependant à en retenir sont très fortes. Accompagnant les élans fugitifs, les vers rimés de Bi Gan sont un appel à la fuite, à la fin d'une aire sombre et angoissée, le mouvement devient le centre d'intérêt du film, le mouvement vers cette filiation manquée qu'il faut réparer, et l'on suit tour à tour un oncle poursuivant son neveux dans les villages de montagne, ceux que l'on voit à peine dans People Mountain, People Sea par exemple et qui là, nous sont offert d'une façon très franche.


A quel moment ce film plonge-t-il dans le docu ? Difficile à dire exactement dans la narration, mais dès que la caméra change, que d'un coup l’image typique cinéma s'efface au profil de teintes plus saturés et d'un éclairage plus cru, que le cadre tremble et tente de capter au mieux ce qui se déroule devant lui, on sent que la vie réanime d'un coup ce film et lui insuffle une charge documentariste évidente. Le plan séquence, même s'il est un peu sous-exposé la plupart du temps, dommage -, est une merveille de complexité, à la fois scénique (rivière, villages denses, place de concert), musicale (une chanson passe de la radio à la tête de l'oncle, puis de sa tête aux spectateurs qui l'écoutent), narrative (on perçoit les milles petites histories qui se jouent dans le background) et en même temps, ce plan n'est jamais dans l'exercice de style (cf. The revenant), il est tout juste dans l'idée de ce que Wang Bing fait avec ses documentaires, capter le présent, sous toutes ces coutures, écouter, voyager, traverser, glisser, chanter, marcher, changer de route et atterrir : rendre avec un naturel désarmant ce que la Chine vit dans ses provinces d'altitudes. A aucun moment l'on ne sent la préparation derrière ce plan de 40 minutes, il est d'une évidence et d'une tranquillité magistrale.


Bi Gan a sa vision de la Chine, assez douce comparée à beaucoup de films Chinois interdits ou censurés qui mettent en avant la très grande misère sociale et économique du pays (Shadow Days, ou encore Black Blood il y a quelques années). Il est dans la captation des souvenirs, des histoires intimes et du paysage intérieur, des thèmes qui font un bien fou, une percée dans un climat de tempêtes et d'orages politiques. Son imagerie est très empruntée à un univers cinématographique européen, mais ça ne l'empêche pas d'être très ancrée dans son pays d'origine. Cela rejoint le fait que c'est un film très littéraire, dans sa forme éclatée, hétéroclite, fait de scénettes qui se font échos les unes aux autres par le biais d'objets (la lampe-torche, la pendule) comme des chapitres-paquebots qui affrontent le présent sous un nouveau jour. Il manque peut-être une touche miroitante qui fasse vraiment de ce film un truc unique, il manque aussi de l'émotion, émotion qu'il y avait dès les premiers instants de The Asssassin, mais que peut-on dire face à un mouvement pareil ?

Narval
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Films Fétiches, TOP des plans séquences, Les meilleurs films des années 2010 et Les meilleurs films de 2016

Créée

le 22 avr. 2016

Critique lue 453 fois

3 j'aime

2 commentaires

Narval

Écrit par

Critique lue 453 fois

3
2

D'autres avis sur Kaili Blues

Kaili Blues
Sergent_Pepper
8

Détours vers le futur

Premier film audacieux et radical, Kaili Blues cherche à déconcerter, et pourrait vite rejoindre la cohorte d’œuvres pseudo expérimentales s’enlisant dans la prétention et l’ennui : il ne s’y passe...

le 13 nov. 2018

25 j'aime

5

Kaili Blues
Kenshin
8

Vinaigre blanc, rêve érotique, pamplemousse rose.

Sous la tonne de poésie déclamée pendant le film, ne voilà-t-il pas que ce vers, pas piqué des hannetons, s'offre à moi et me murmure, tu cherchais un titre ? En voilà un.Sous une intrigue opaque...

le 5 avr. 2024

24 j'aime

15

Kaili Blues
Clode
8

En dehors du temps

Kaili Blues est un film qui ne semble jamais vouloir commencer et quand enfin il finit par commencer on aimerait que plus jamais il ne se termine. Oui, Kaili Blues commence par ne jamais vraiment...

le 24 mars 2016

17 j'aime

1

Du même critique

Ultra Pulpe
Narval
10

Eros + Tétanos

Voyage à la fois onirique et cauchemardesque, pop et crépusculaire, sensuel et tragique, Ultra Pulpe est centré autour d'un couple de cinéma réalisatrice/muse qui menace de se déchirer. Pour...

le 16 juin 2018

20 j'aime

Elle
Narval
8

Sors ta queue

Du point de vue d'un chat, à quoi ressemble notre vie ? Sans doute à une agitation bien vaine. Et même si le félin a de quoi s'attarder sur les jeux frivoles et les courses poursuites avec son ombre,...

le 16 juin 2016

20 j'aime

5

Réparer les vivants
Narval
3

Vaine cave

Le phénomène Les pépites continue, bien malheureusement... On prend un sujet fort, humain, essentiel, et on en fait un spot publicitaire horrible et putassier sur le don d'organe (et la sécurité...

le 7 nov. 2016

12 j'aime

4