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Kaili Blues
7.1
Kaili Blues

Film de Bì Gàn (2015)

C'est un premier film..., c'est un film de jeunesse (réa de 27 ans, donc très jeune), et c'est une merveille, encore une fois, le cinéma chinois est au top de la forme depuis cette décennie, avec une variété et une force, une productivité immense. Le geste de Bi Gan est d'une grande souplesse, on sent bien toute la balance qu'il faut à un réalisateur-poète pour coordonner à la fois une histoire (même si elle sert plus de prétexte à l'évasion ici) et à la poésie qui au contraire, ne raconte plus rien sinon des sensations. La première partie du film, dans les cavernes et les tunnels de la ville rappelle l’envoûtement du Chiens errants, tout en exposant de jolis clins d’œil à Stalker (les mouvements de caméra, les éléments, les entées de champs, le tunnel) et au Mépris (le faux générique commenté). Cette première partie est passionnante et très riche, mêmes si elle a tendance à être trop évasive et à fuir les réelles questions, ou du moins les aborder juste ce qu'il faut pour ne pas être out.
Assez bavard dans ses débuts, le film parvient à se recentrer sur sa réelle ambition, la poésie, et les texte de Bi Gan, tout comme le titre du film (Pique-nique au bord de la route, autre référence à Stalker), assez mal transcrits, renvoient à l'incapacité de notre langue à saisir la beauté et la simplicité de la poésie chinoise, qui s'épargne beaucoup de fioritures, plus terre à terre mais pas moins spirituelle. Les images que l'on parvient cependant à en retenir sont très fortes. Accompagnant les élans fugitifs, les vers rimés de Bi Gan sont un appel à la fuite, à la fin d'une aire sombre et angoissée, le mouvement devient le centre d'intérêt du film, le mouvement vers cette filiation manquée qu'il faut réparer, et l'on suit tour à tour un oncle poursuivant son neveux dans les villages de montagne, ceux que l'on voit à peine dans People Mountain, People Sea par exemple et qui là, nous sont offert d'une façon très franche.


A quel moment ce film plonge-t-il dans le docu ? Difficile à dire exactement dans la narration, mais dès que la caméra change, que d'un coup l’image typique cinéma s'efface au profil de teintes plus saturés et d'un éclairage plus cru, que le cadre tremble et tente de capter au mieux ce qui se déroule devant lui, on sent que la vie réanime d'un coup ce film et lui insuffle une charge documentariste évidente. Le plan séquence, même s'il est un peu sous-exposé la plupart du temps, dommage -, est une merveille de complexité, à la fois scénique (rivière, villages denses, place de concert), musicale (une chanson passe de la radio à la tête de l'oncle, puis de sa tête aux spectateurs qui l'écoutent), narrative (on perçoit les milles petites histories qui se jouent dans le background) et en même temps, ce plan n'est jamais dans l'exercice de style (cf. The revenant), il est tout juste dans l'idée de ce que Wang Bing fait avec ses documentaires, capter le présent, sous toutes ces coutures, écouter, voyager, traverser, glisser, chanter, marcher, changer de route et atterrir : rendre avec un naturel désarmant ce que la Chine vit dans ses provinces d'altitudes. A aucun moment l'on ne sent la préparation derrière ce plan de 40 minutes, il est d'une évidence et d'une tranquillité magistrale.


Bi Gan a sa vision de la Chine, assez douce comparée à beaucoup de films Chinois interdits ou censurés qui mettent en avant la très grande misère sociale et économique du pays (Shadow Days, ou encore Black Blood il y a quelques années). Il est dans la captation des souvenirs, des histoires intimes et du paysage intérieur, des thèmes qui font un bien fou, une percée dans un climat de tempêtes et d'orages politiques. Son imagerie est très empruntée à un univers cinématographique européen, mais ça ne l'empêche pas d'être très ancrée dans son pays d'origine. Cela rejoint le fait que c'est un film très littéraire, dans sa forme éclatée, hétéroclite, fait de scénettes qui se font échos les unes aux autres par le biais d'objets (la lampe-torche, la pendule) comme des chapitres-paquebots qui affrontent le présent sous un nouveau jour. Il manque peut-être une touche miroitante qui fasse vraiment de ce film un truc unique, il manque aussi de l'émotion, émotion qu'il y avait dès les premiers instants de The Asssassin, mais que peut-on dire face à un mouvement pareil ?

Narval
10
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Créée

le 22 avr. 2016

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Narval

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