Khartoum
6.6
Khartoum

Film de Basil Dearden (1966)

Il suffit parfois de presque rien pour prendre en grippe, de manière totalement involontaire ou inconsciente, un film à caractère historique. Un détail que l'on connait et qui n'est pas ou pas bien traité, une invraisemblance patente, un biais interprétatif évident découlant des enjeux de production, etc. Et ici, il se manifeste sous les traits de Laurence Olivier... grimé en Mahdi, un "sauveur" issu de la religion musulmane. Il a beau cacher son visage sous une tonne de maquillage et s'envelopper dans les plus beaux tissus, on ne peut s'empêcher de se dire que n'importe quel acteur d'origine arabe aurait été un meilleur choix. Mais on imagine bien que c'était chose impossible pour un rôle parmi les plus importants du film... En termes de figurants ou de serviteur dévoué, les acteurs d'origines exotiques ne manquent pourtant pas.


Il y a aussi une forme de paternalisme parfois dérangeant dans la façon qu'ont les occidentaux d'aider ces peuples faibles, mal organisés, en un mot désemparés sans l'aide occidentale. L'esprit des colonies... Bref.


Soit donc l'histoire de la ville de Khartoum à la fin du 19e siècle. Suite aux appels à l'insurrection du Mahdi contre les troupes égyptiennes et leurs alliés anglais, l'empire britannique décide d'envoyer le général Charles Gordon, surnommé Gordon Pacha ou Le Chinois (en lien avec de récentes victoires en Chine) au Soudan pour gérer les opérations directement depuis là-bas. Gordon est un personnage particulier, illuminé religieux pouvant n'en faire qu'à sa tête, dans une certaine mesure le pendant chrétien du Mahdi, que l'empire envoie pour assurer ses arrières en cas d'échec ("si Gordon échoue, et il échouera sans doute, on aura au moins essayé de faire quelque chose"). Mais Gordon, une fois sur place, au lieu de préparer l'évacuation de la ville, se lance dans sa défense et sa fortification face à l'attaque imminente.


Le style est proche des grands péplums de la fin des années 50 et des années 60 (Spartacus, Ben-Hur, Les Dix Commandements), avec un ton versant dans le grandiose, les trois mouvements (overture, intermission, exit) avec des musiques grandiloquentes à base de trompettes et de percussions, les charmes du Technicolor et de l'Ultra Panavision (dernier film tourné ainsi avant "The Hateful Eight" 50 ans après), etc. Mais là où le romantisme de "Lawrence d'Arabie" (Omar Sharif est plus crédible que Laurence Olivier hein) avait tendance à atténuer certains aspects colonialistes (pour nos yeux effarouchés), "Khartoum" y oppose une certaine froideur, simple, brute. Le contenu dramatique de l’histoire est évident, mais le film n’en utilise jamais véritablement le potentiel. Peut-être les motivations derrière ce choix trouvent leur origine dans une certaine volonté de réalisme… qui a ses limites. Une chose est sûre, on est très loin du ton passionné de David Lean. On se dit que cette opposition entre deux conceptions de la chose religieuse, à travers le rapport contrasté de ses deux apôtres, aurait pu donner quelque chose de beaucoup plus dynamique, enflammé.


Il manque aussi un véritable parallèle entre les personnages de Mahdi et Gordon : là où le premier est décrit comme (souvent) un fanatique religieux, pouvant (parfois) faire preuve de respect à l’égard de ses ennemis mais principalement occupé à les découper en petits morceaux, le second reste assez peu approfondi dans sa personnalité, dans sa propre folie (avérée) spirituelle. "Khartoum" a tout de même le mérite d’aborder un épisode peu glorieux de l’Histoire britannique, puisque les renforts finalement envoyés par la couronne arriveront sur place avec deux jours de retard. Ils découvriront une ville dévastée, sans aucun survivant. Gordon eut la tête coupée, en dépit de l’interdiction du Mahdi de lui faire du mal — Il mourut lui-même six mois plus tard pour des raisons inconnues. Les Anglais se retireront du Soudan quelque temps après, avant d’envahir à nouveau le pays suite à des pressions nationales dix ans plus tard, en 1898. Il manque donc à "Khartoum" un potentiel dramatique capable de donner corps à ces événements, ce je ne sais quoi de souffle épique qui aurait dû subsister en dehors des deux grosses batailles qui ouvrent (le massacre par un "sauvage" d’une armée égyptienne guidée par un officier britannique) et ferment (l’assaut de Khartoum) le film.


[AB #143]

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le 22 oct. 2016

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Morrinson

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