Comment donner suite à un film déjà énorme (dans tous les sens du terme) sans flinguer son précieux équilibre ?


La réponse offerte par Kick-Ass 2 est d'une simplicité biblique : en gardant le même cap tout en changeant de méthode. Magistrale démonstration de mélange des genres, le premier opus se posait comme un essai aussi théorique qu'incarné sur la course au buzz de la génération 2.0 : en multipliant les influences au sein même de sa mise en scène (FPS, blogs, Youtube, caméras de surveillance, vidéo amateur...), Matthew Vaughn bâtissait scène après scène une émulation bariolée du flux permanent d'images permis depuis l'avènement d'internet, leur création/captation par n'importe quel quidam étant devenu un geste banal. Ici, la thématique se résume à quelques détails, comme la page Facebook servant à la réunion des vigilantes, ou encore cette conversation sms retranscrite directement à l'écran. Les mécanismes sont bien intégrés, il s'agit donc désormais de se frotter de bout en bout à la réalité du terrain...en scrutant ce qui motive les porteurs de costumes.


Car de biblique, certains personnages le sont ouvertement dans Kick-Ass 2, à commencer par le chef de meute incarné par Jim Carrey, ancien mafieux reconverti en défenseur des masses anonymes...parce qu'il a trouvé la foi. Ailleurs, la parabole fleurerait bon le puritanisme déguisé en subversion. Mais s'il est une chose que **Kick-Ass 2* a retenu de son aîné, c'est bien la déification qu'appelle immanquablement le statut de super-héros : masqués, donc n'agissant pas par ambition personnelle, les redresseurs de tort en collants invitent à une identification collective, à un rassemblement fédérateur autour d'une figure iconique apte à nous donner la force d'avancer, de faire face et, dans certains cas, d'agir pour le bien commun en suivant l'exemple. Si le personnage de Jim Carrey a trouvé dans la religion un moyen d'enterrer sa vie passée, il est loin de prôner le pardon ou de se poser en martyr : il a simplement décidé d'agir sans pour autant renier la violence qui, on l'imagine, a façonnée sa vie passée.


Pas de rédemption pour cet homme-là, ni même de BD à sa gloire comme ce fut le cas pour Kick-Ass très tôt dans le premier volet. Dans Kick-Ass 2, ces considérations sont d'ailleurs prises au sérieux au point de se trouver au coeur du projet : voir les ambitions du méchant (le Motherfucker, bête de patronyme !) qui souhaite selon ses dires devenir une version super-vilain de Jésus Christ. Poussée à l'extrême, la célébrité acquise emporte ici ses personnages dans un torrent de violence jamais adapté à leur âge (à quelques exceptions, aucun ne dépasse la vingtaine). Des gosses qui ont du sang sur les mains élevés au rang de symbole de justice : c'est dans cette ambivalence que Kick-Ass 2 trouve ses marques et plante ses crocs dans tout ce qui menace de lui dicter sa conduite. Ainsi, alors que le premier marquait une distinction très nette entre la partie comédie adolescente et les séquences super-héroïques, cette suite fait de l'humour trash son véritable cheval de Troie pour mêler ces deux versants.


Un aspect particulièrement sensible dans la partie, méchamment casse-gueule vis-à-vis des fans, où Mindy/Hit-Girl se découvre un intérêt pour les aspects les plus archétypaux de la vie d'adolescente, jusqu'à espérer intégrer l'élite fashion du lycée. Une parenthèse conclue par une des séquences les plus émouvantes du long-métrage, humiliation par rejet à laquelle Hit-Girl ne peut rien changer ; révélation amère qui conduira à une revanche publique aussi immonde que jubilatoire (les fans de Minority Report et de Bad Taste seront aux anges). Personnage extraordinaire (tout autant que sa comédienne, Chloë Grace Moretz), Mindy évolue d'ailleurs en marge de son acolyte Kick-Ass et fait ainsi le pont entre la réalité de la vie adolescente et les considérations adultes auxquelles doivent faire face leurs alter-égo.


La narration se paye en prime le luxe d'un traitement impitoyable envers ses personnages, sacrifiant certains sans se soucier de l'attachement du public envers eux ou renforçant cette empathie juste avant de les envoyer ad-patrès. "This is not a comic-book", se plaisent à répéter certains membres de la troupe bien conscients qu'ils risquent à tout moment de crever la gueule ouverte. Et en effet, pas de traitement de faveur dans Kick-Ass 2, authentique guerre des gangs dont les costumes méritent à eux seuls l'achat du ticket. D'une sauvagerie supérieure au premier opus, infiniment moins virtuose dans ses scènes d'action mais encore plus brutal, mordant et blindé de punchlines odieuses, Kick-Ass 2 hisse ses personnages sur un piédestal brinquebalant en regardant tout ce beau monde s'étriper.


Virant dans sa dernière partie au règlement de comptes pur et simple, Kick-Ass 2 ne baisse pas son froc mais se plaît à jouer les pince-sans-rire lorsque ses jeunes héros se font réprimander par leurs camarades plus âgés dès qu'ils prononcent un gros mot ! Un souci d'image de marque qui fait fort heureusement défaut au film, rollercoaster dans un décor de grosse pomme pourrie par les exactions d'un bad guy dont le seul pouvoir est d'être blindé de thunes. Parfois trop bref pour rendre justice à ses chouettes idées, Kick-Ass 2 n'égale pas son modèle mais y fait honneur en piétinant le bon goût et la bienséance dont devraient faire preuve sa bande d'ados en pyjama. Un mauvais esprit que même les défauts les plus visibles (une lumière parfois très laide ; le troisième larron de la bande de potes, girouette scénaristique beaucoup trop commode ; l'arrestation en masse de tout individu costumé, phase bien vite expédiée) ne parviennent pas à amoindrir.


Bref, un film à l'image de son méchant en titre, adulescent agressif et hargneux qui veut à tout prix s'affranchir de l'autorité parentale, d'abord en suivant les traces de feu son paternel puis en enfilant un costume aussi déjanté que ridicule piqué dans le placard de sa mère (!), personnage dont il tente néanmoins de s'émanciper. Un protagoniste irrécupérable, tordu et méchant, soit tout ce qui fait le sel de cette séquelle hallucinée, assez jouissive et parfois touchante.


PS : pensez à rester jusqu'à la fin du générique, sous peine de rater le "gag" le plus glaçant du long-métrage.

Fritz_the_Cat
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le 21 août 2013

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Fritz_the_Cat

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