Au crépuscule d'une carrière aussi fascinante que prodigieuse, qui nous a auréolé d'une filmographie déjà culte, Martin Scorsese, n'a pas encore dit son dernier mot et nous offre le film le plus fort de l'année au cinéma. Killers of the Flower Moon est un miracle cinématographique à plus d'un titre. D'une part, puisqu'il s'inscrit à l'antipode des blockbusters hollywoodien de notre époque, malgré son budget colossal de 200 millions de dollars. D'autre part, car ce 27ème long-métrage du maître est tout sauf spectaculaire. Au contraire, ce parti pris assumé du film est d'abord surprenant pour le spectateur, mais prend tout son sens au fur et à mesure du film. Son ton singulier offre une cohérence nécessaire au propos du film et permet à l'histoire de prendre encore plus d'ampleur.

Basé sur l'ouvrage éponyme de David Grann publié en 2017, le film nous plonge dans les années 1920 dans la ville de Fairfax en Oklahoma, et nous immerge dans une période méconnue et oubliée de l'histoire de l'Amérique, marquée par une série de meurtres brutaux commis contre les membres de la tribu amérindienne des Osages.

Killers of the Flower Moon oscille entre le western, le polar et le film de mafieux, en plus de marquer la sixième collaboration de Leonardo DiCaprio et la dixième de Robert De Niro, avec Martin Scorsese.


Comme attendu le casting est exceptionnel, Leonardo DiCaprio incarne Ernest Burkhart, un personnage pathétique torturé par l'amour pour sa femme et sa cupidité qui va l'amener à commettre les pires horreurs possibles. Un rôle ambigu qui permet à l'acteur d'exprimer tout son talent, même si l'on peut regretter parfois qu'il soit à la limite de la caricature dans certaines séquences, notamment avec ses mimiques du visage qui rappellent celles de Marlon Brando dans The Godfather. Néanmoins sa présence à l'écran demeure comme toujours un atout pour un film, et cela ne fait pas exception ici.

Robert De Niro interprète le rôle du terrifiant William Hale alias "King", cerveau de la conspiration contre les Osages. Pour ce qui est son meilleur rôle depuis très longtemps au cinéma. Réuni pour la première fois chez Scorsese, le duo de "muses" du maître fonctionne parfaitement et offre plusieurs moments assez jouissifs. Le film referme symboliquement la boucle entamée il y a 30 ans dans This Boy's Life entre les deux acteurs. DiCaprio en plus d'être le meilleur acteur de sa génération, confirme qu'il est le digne successeur de De Niro.

Cependant, c'est bien Lily Gladstone qui est la grande révélation du film. Son interprétation de Molly Burkhart est saisissante et constitue le cœur battant de l'histoire. Ses silences, sa pudeur, son regard et son charisme apportent une autre dimension au film.


La photographie du film, confiée une nouvelle fois à Rodrigo Prieto, est en tout point remarquable. Certains plans crépusculaires du film sont d'une beauté exceptionnelle et contribuent à créer une atmosphère sombre et hantée au film. Chaque plan est soigneusement composé et pensé comme des tableaux, ce qui renforce l'impact émotionnel du spectateur dans cette histoire tragique du peuple Osage.

La musique, composée par Robbie Robertson, à qui le film est dédié, n'en ait pas moins grandiose. Elle est même un élément central de l'expérience de 3h26 que nous propose le maître. Elle accompagne le récit de manière magistrale, tout d'abord en présageant de l'horreur à venir, puis vient nous hanter au fur et à mesure que les meurtres et les cadavres s'accumulent. Son travail avant sa disparition ajoute une couche émotionnelle supplémentaire à l'ensemble du film.

De plus, la fluidité du récit est en grande partie due au montage réalisé encore une fois avec une grande justesse par Thelma Schoonmaker, sa monteuse attitrée depuis plus de 50 ans.

Enfin, la superbe reconstitution de la ville de Fairfax, et les décors du film à mettre au crédit du grand Jack Fisk, participe à la grandeur de cette histoire et à l'immersion du spectateur.


Par ailleurs, il est intéressant de noter que le film suscite des réactions mitigées chez certains membres de la communauté Osage. En effet, bien qu'ils reconnaissent l'hommage rendu par Scorsese à l'histoire de leurs ancêtres. Ils regrettent que le film soit centré sur le personnage de Ernest Burkhart, qui participe à la conspiration et aux meurtres violents contre les Osages, au détriment d'une vision plus centrée sur le point de vue du personnage de Molly Burkhart, moins présente dans la seconde partie du film.

Pourtant, même si on peut regretter de ne pas avoir vu et entendu plus longtemps ce peuple Osage, tellement passionnant dans sa première partie, à travers la découverte de leurs coutumes. Il est évident que la volonté de Scorsese ici était de montrer justement les péchés de l'Amérique à travers la lâcheté et la cupidité du personnage d'Ernest Burkhart. Dans ce sens, le film prend encore plus de profondeur et met le doigt là où ça fait mal comme l'impose une histoire d'une telle ampleur.


En conclusion, Killers of the Flower Moon est une fresque politique engagée sur l'Amérique du début du XXème siècle. Passionnant et mémorable, le film critique frontalement l'impact du capitalisme sur les hommes, tout en explorant un pan sombre et souvent méconnu de l'histoire de l'Amérique à travers le génocide des Osages qui hante son histoire jusqu'à aujourd'hui. Martin Scorsese réussit à rendre hommage au peuple Osage, avec sa fin brillante, tout en présentant une narration innovante et captivante grâce à des performances d'acteurs remarquables et mémorables. L'esthétique visuelle du film, la musique envoûtante, la maîtrise de la narration et de la mise en scène de Scorsese en font une expérience cinématographique aussi unique que miraculeuse dans sa manière de transcender les frontières du temps et de convoquer l'histoire pour remettre en perspective l'horreur de l'injustice vécue par les Osages, pour l'éternité.


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le 14 nov. 2023

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Halan

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