Un divertissement gargantuesque qui n'arrive pas à trouver le juste équilibre

Alors qu’elle tente de mettre en place un premier univers cinématographique avec DC Comics (Justice League), la Warner Bros. se lance dans la mise en place d’un second projet, cette fois-ci en compagnie de Legendary Pictures. Celui de reprendre tous les kaijus (les monstres géants), qui ont fait la fureur du cinéma japonais. Le premier d’entre eux à avoir eu cet honneur n’est autre que le Roi des Monstres lui-même, Godzilla, ressuscité par le savoir-faire de Gareth Edwards (qui a d’ailleurs confirmé son talent avec le récent Rogue One) en 2014. Désormais, le studio prévoit de faire affronter l’immense lézard avec une autre star du genre, à savoir le gorille Kong, pour un duel prévu en 2020. Mais pour cela, il faut un long-métrage dans le but d’introduire le singe à cet univers. C’est donc cette mission que doit réussir Kong : Skull Island, tout en se présentant au public comme un blockbuster d’excellente facture, afin de le convaincre de suivre l’aventure de film en film. Pari remporté haut la main ? À moitié, malheureusement…


Que l’on se comprenne bien avant de continuer : d’un tel film, il ne faut vraiment pas s’attendre à monts et merveilles au niveau du scénario ! Ce dernier pourrait même être inexistant que cela ne dérangerait pas plus que cela (quoiqu’il faut tout de même un fil rouge pour guider l’ensemble), n’ayant pas peur d’avoir des personnages humains servant de chair à canon, rien de plus. Ou alors de bien travailler ces derniers afin que l’on s’attache à eux, donnant à l’ensemble une certaine humanité. Un semblant de profondeur pour que le tout soit captivant, en plus d’être spectaculaire. Et c’est là que vient le premier problème de Skull Island : le scénario veut faire les deux choses à la fois, sauf que cela ne fonctionne pas du tout ! En effet, le film commence sur la présentation des faits mais également des personnages, décrivant leur but respectif, leurs enjeux. Bref, tout ce qu’il faut pour que l’on s’attache un minimum à leur sort. D’autant plus qu’ils ont droit à des interprètes de renommée (Tom Hiddleston, Samuel L. Jackson, John Goodman, Brie Larson, John C. Reilly…). Et pourtant, ce travail aussi minimaliste qu’il soit n’évoluera jamais, étant donné qu’une fois débarqués sur l’île, les protagonistes ne servent à rien. Que ce soit les principaux ou les secondaires, aucun n’a de véritable rôle dans l’histoire. Même pas celui de Tom Hiddleston, alors qu’il est vu comme un aventurier héroïque au lourd passé. On pourrait l’enlever du scénario que cela ne changerait rien ! Ils sont juste là à courir au moindre danger, à se faire becqueter, à se faire écraser comme de vulgaires fourmis… Et le fait d’oublier leur développement de la sorte en cours de route nous empêche d’exprimer la moindre émotion à leur égard, surtout à la mort de certains (doit-on en être attristé ou réjouit ?). Il aurait fallu dès le départ ne pas leur offrir de background, car là, cela ne fait que meubler quelques minutes de film…


Un constat qui nuit également au ton du film. Contrairement au Godzilla de Gareth Edwards, le réalisateur Jordan Vogt-Roberts a délibérément voulu faire un spectacle jouissif. Celui qui ne se prend nullement la tête. Celui qui ne pense qu’à livrer de grosses bêbêtes se bastonner à longueur de temps. Celui qui demande à ce que les acteurs surjouent au maximum (la palme revenant ici à Samuel L. Jackson). Le propre de tout film de monstres géants, quoi ! D’autant plus que Kong : Skull Island assume pleinement son envie de retrouver l’ambiance légère et pétaradante des blockbusters d’antan. Mais outre le fait d’user d’un humour parfois lourdingue (le personnage de John C. Reilly est vraiment énervant par moments), le film s’enlise bizarrement dans le sérieux le plus total. En se focalisant sur des personnages alors que, comme il est dit dans le paragraphe précédent, le scénario s’en fiche totalement. Il est incompréhensible d’insister sur la relation entre tel et tel personnages si cela n’aboutit à rien question écriture. Il est étrange de voir qu’un protagoniste est attristé par ce qu’il se passe alors qu’il n’est rien pour nous. Et surtout, pour donner un exemple, il est inexplicable de donner de l’ampleur à un personnage, prêt à se sacrifier pour secourir les autres et mourant finalement de la manière la plus débile qui soit : dégoupiller une grenade et attendre que le monstre fonce sur soit pour exploser ; sauf que ladite créature projette le personnage contre une paroi, lui craquant les os et explosant l’air de rien. Vraiment, il est difficile de savoir comment prendre ce film, qui se montre pour le coup bancal.


Et l’autre point dérangeant – mais j’avoue que c’est plutôt personnel sur ce point – concerne le monstre éponyme : Kong. Bien que la Warner ait décidé de mettre en place un univers cinématographique avec le fameux singe, elle s’attaque tout de même à un mythe du cinéma. Une légende qui reprenait à sa sauce l’histoire intemporelle de La Belle et la Bête. Une romance impossible entre une femme et un singe géant, qui faisait tout le charme du film originel (et de celui du remake de Peter Jackson). Le spectateur était diablement attaché au gorille, dieu vivant pour les indigènes et qui protégeait sa belle par amour, au point de risquer constamment sa vie. Jusqu’à mourir comme un vulgaire animal, incompris des humains. Là, il se présente à nous comme une bête de foire, tapant sur tout ce qui bouge… Le mythe a littéralement disparu sous une avalanche de spectaculaire qui tente par moments d’y faire référence. Parfois de manière inventive (Kong attaquant les hélicoptères peut se voir comme une revanche du singe sur l’Empire State Building des précédents films), parfois grotesque et maladroite (la présence de Brie Larson au casting parce qu’il fallait une femme blonde à l’histoire). Bref, Kong a perdu de son aura, de son allure iconique.


Trois paragraphes pour le moins assassins sur un film qui, pourtant, n’est pas si mauvais que cela. Et pour cause, en tant que film de monstres géants, Kong : Skull Island est l’un des plus intéressants à regarder en termes de divertissements. Que ce soit au niveau du spectaculaire, le film enchaînant avec une générosité folle les séquences démesurées, les effets spéciaux ahurissants et le bestiaire bien fournis des créatures de l’île. Ou bien d’un point de vue plus technique, le long-métrage proposant une photographie de haute volée, des plans par moments somptueux, des jeux de couleurs lui conférant une patte graphique grandement travaillée… sans compter de multiples références à d’autres œuvres cultes du cinéma, dont l’incontournable Apocalypse Now. Malheureusement, cela ne sera pas suffisant pour surpasser le gros lézard. Ni même Pacific Rim, qui reste à ce jour la référence en termes de films de kaijus à l’américaine.


Déception donc que ce Kong : Skull Island qui, sur la forme, se surpasse grandement et peut offrir un divertissement gargantuesque, au visuel des plus agréables. Mais qui, sur le fond, ne parvient jamais à faire honneur au célèbre gorille, ni à trouver le juste équilibre dans le ton à avoir. La direction à prendre concernant la teneur du scénario et de ses personnages. Donnant du coup l’impression d’avoir affaire à un film pour le moins étrange. On passera plus notre temps à comprendre ce que l’on est en train de regarder plutôt que de savourer le spectacle qui nous est offert. On se surprendra donc à s’ennuyer alors qu’il n’y a pas lieu d’être ! Pour vous dire, le seul moment qui m’a marqué, c’est la scène post-générique : une annonce de Godzilla 2, unique instant du long-métrage qui comprend enfin le sens du mot « icône ».

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