Alors que la ville s’agite et s’attelle à toutes ses activités de production, le forgeron marque de son sceau une pièce d’or. Celle-ci se fond petit à petit dans un décor plus large : la place centrale de la cité, qui embrasse à la perfection sa forme circulaire.
Avec Krysar, Jiri Barta ne se contente pas de transcrire la vieille légende allemande du joueur de flûte. La thématique du consumérisme est transparente dans cette superbe œuvre en stop-motion ; un consumérisme prenant les airs d’un mal omniprésent, rongeant les humains et leur cadre de vie. Les habitants sont présentés comme les rouages d’une même machine dans un montage alterné introductif. Définis par leur seule fonction de production, chacun d’entre eux ressemble à une étrange marionnette désarticulée, sans âme ni identité propre. Ils se fondent d’ailleurs parfaitement dans le style visuel du métrage.
Utilisé à la perfection, le stop-motion permet de donner vie à cet univers torturé, cisaillé, dont les formes anguleuses et les représentations disproportionnés renvoient à une constante sensation de malaise. Ouvertement inspiré de l’expressionnisme allemand (le réalisateur cite Le cabinet du Docteur Caligari comme influence évidente), le film en récupère également la contrainte du mutisme. Des sons sortent bien de la bouche des personnages, mais ils sont sans significations, et pour la plupart du temps grotesques. En vérité, les personnages les plus réalistes ne sont autres que les rats : cet animal qui, dans le conte d’origine, est censé représenter la maladie et le danger. Le choix (osé mais très réussi) d’utiliser des gros plans de coupe sur de véritables rats, non pas des figurines de stop motion, leur confère une humanité bien plus réelle que celle des véritables habitants.
C’est ainsi que, malgré la présence d’une noirceur pesante propre au conte original, Jiri Barta décide d’insuffler une certaine sensibilité à son œuvre. Elle est symbolisée dans un premier temps par la jeune femme, au visage bien plus doux que les autres figurines – mais qui connaîtra un destin tragique. On retrouve également le vieux pêcheur, en marge des enjeux matériels de la grande ville et qui sera donc épargné par le joueur de flûte. Son insertion dans le récit n’est pas anodine, et permet au film de proposer une dernière note d’espoir alors qu’il se ferme sur le départ de l’homme.
Cette adaptation animée a ainsi le mérite de garder la simplicité d’une légende à l’origine orale, en y insufflant une patte personnelle autant thématique que visuelle. Une réussite certaine qui, à défaut de renouveler complètement le récit, se l’approprie pour le transformer en fable moderne.