Shin Megami Tensei: Persona 3 FES
8.4
Shin Megami Tensei: Persona 3 FES

Jeu de Atlus et Koei (2007PlayStation 2)

Presque un an après avoir complété ce jeu, et avoir entre temps fini la trilogie des « Néo-Persona », je décide enfin de me lancer dans l’écriture de cette critique. Persona 3 m’a servi de point d’entrée à la série, puisqu’il est connu pour avoir marqué les nouvelles bases de cette dernière, autant en termes de gameplay que de narration. Durant mes premières dizaines d’heures de jeu, je m’y suis senti impliqué comme je le suis rarement. Pourtant, en approchant de la fin, la lassitude et le désintérêt m’ont gagné petit à petit. J’en suis alors venu à me demander : comment mon opinion de Persona 3 a-t-elle pu subir une telle mutation au fil du temps ?



A Way of Life



La première mécanique marquante de Persona 3, conservée dans les opus suivants, est bien entendu le système de calendrier ; système en grande partie responsable du succès actuel de la série. En créant une routine quotidienne, il immerge complètement le joueur dans son rôle de lycéen, en plus de créer une forme de narration toute particulière qui le happe immédiatement. Il est facile de s’imprégner du scénario, de l’univers et des personnages quand on a la sensation de partager un fragment de vie avec eux. L’évolution de l’histoire est fluide, scindée entre les étranges évènements de la Dark Hour – une mystérieuse 25ème heure de la journée où le monde change subitement – et les moments « tranche de vie ».


Ces derniers voient leur importance renforcée par l’introduction d’une autre feature essentielle : les Social Links. Le joueur a la possibilité de passer son temps libre avec les divers personnages secondaires et de faire évoluer ses liens, qui auront un impact sur la partie combat du jeu. Ainsi, ce système permet de relier intelligemment les deux faces du jeu tout en ajoutant un certain challenge au côté « simulation de vie », grâce à la gestion du temps. C’est pourquoi le calendrier et les Social Links se complètent si bien, puisqu’il va falloir choisir stratégiquement où, avec qui, ou comment passer son temps (car oui, il faut aussi monter régulièrement ses statistiques sociales). Ce subtil mélange du gameplay mixé à l’ambiance écolière du titre accentue l’immersion dans ce monde auquel on s’attache inévitablement. Les personnages qui nous accompagnent, qu’il soient utilisateurs de Persona ou non, deviennent pour la plupart attachants…


Rien d’étonnant à ce que je sois rentré aussi vite dans l’univers de Persona 3. En plus de cet aspect « social », le scénario semble également prometteur à ses débuts : une ambiance sombre, l’omniprésence des thème de la mort et de la dépression, de nombreux mystères intrigants… Mais pour progresser dans l’histoire, il va falloir passer par la deuxième phase du jeu, qui révèle le caractère de J-RPG du titre. Cet aspect se déroule principalement dans le Tartarus, une immense tour qui remplace le lycée lors de la Dark Hour. L’objectif ultime du jeu sera en effet d’en atteindre le sommet en grimpant étage par étage, tout en éliminant les ennemis qui obstruent notre progression. Le système de combat au tour par tour hérité des Shin Megami Tensei n’a pas vraiment à faire ses preuves : il se repose principalement sur l’utilisation des Persona et d’attaques de certains types pour profiter des faiblesses de l’ennemi – à la manière d’un Pokémon. La possibilité de changer de Persona en cours d’un affrontement leur donne ainsi un aspect tactique non négligeable, sachant qu’il est possible d’obtenir de nouveaux Persona en les fusionnant au travers d’un système plutôt complet.



Wiping All Out



Et pourtant, c’est par ce point que le mât commence à blesser. S’il présente de nombreuses qualités, le gameplay en combat révèle de grandes faiblesses qui laissent souvent lieu à la lassitude et à la frustration. Le problème le plus souvent mentionné, c’est évidemment le contrôle des compagnons par l’IA. Sans même mentionner le comportement absurde de l’ordinateur en certaines circonstances, on se retrouve la plupart du temps spectateur plutôt qu’acteur. Quelques situations en deviennent vraiment ridicules : par exemple, lorsque notre personnage est assommé en boucle par l’ennemi, à cause des faiblesses de son Persona, ce qui rend impossible toute action. On se contente alors de regarder avec désespoir notre équipe se faire écraser, sans possibilité de donner d’ordres, et de perdre plusieurs dizaines de minutes de jeu de la manière la plus stupide qu’il soit. Cela, ainsi que la possibilité de se faire directement viser par un sort d’insta-kill, est d’autant plus frustrant à cause de la structure du Tartarus. Sur près de 250 étages, on se contente d’arpenter les mêmes couloirs générés aléatoirement, d’essayer de passer dans le dos des mêmes Shadows avec leur champ de vision imprécis, avec les mêmes trois notes de piano en fond… Persona 3 est vraiment, vraiment répétitif. Hormis les boss – difficiles mais stimulants –, les combats s’enchaînent, paraissent de plus en plus lents et sans intérêt.


Et le pire de tout cela, c’est que le jeu va vous pousser au farm. Ironiquement, c’est à cause du même système de calendrier que j’encensais plus tôt. C’est bien simple : pour rythmer la narration et les phases dans le Tartarus, un Shadow particulièrement puissant apparaît à chaque pleine lune. Les combats de boss ont donc une date fixée à l’avance, et le jeu aime bien rappeler régulièrement que celle-ci approche à grands pas. Ainsi, même si au travers de nos expéditions dans le Tartarus, nous avons atteint la limite actuelle (débloquée à chaque victoire contre un boss), il sera très fortement recommandé de retourner dans le Tartarus pour gagner de l’expérience… puisqu’il est impossible de connaître la force du boss avant de l’affronter. Par peur d’être bloqué, ou de devoir recommencer une semaine en arrière, on décide de passer nos nuits dans ce donjon de l’infini afin de se préparer « au cas où ». Et impossible de se lancer dans une grande session de grind en une nuit, puisque les personnages finiront par être fatigués et être inefficaces au combat – mécanique d’ailleurs abandonnée dans les suites dû aux contraintes qu’elle impose. Couplé aux problèmes du système de combat, l’ensemble dégage rapidement ce sentiment d’ennui et de frustration.



Heartful Cry



Passé les premiers boss, ces défauts commencent à se sentir et à réellement peser sur l’expérience de jeu. Malheureusement, une fois le charme du jeu assimilé, ce ne sont pas les seules failles à pointer le bout de leur nez. Certains éléments s’usent face au temps qui passe, comme la mécanique répétitive des Social Links. Ils ne deviennent qu’enchaînement de script et l’illusion de traîner aves ses amis de lycée s’estompe progressivement. Le même problème se retrouve dans l’utilisation de la bande originale. Globalement de très bonne facture, elle a le mérite d’approcher un style très peu vu dans le jeu vidéo et livre des pistes marquantes (Mass Destruction, The Battle for Everyone’s Souls…). Malheureusement, certaines d’entre elles sont tellement jouées qu’elles en deviennent insupportables (je frôle la crise nerveuse au simple fait d’entendre Want To Be Close).


Le scénario, quant à lui, se montre au final particulièrement décevant. Cela peut peut-être surprendre, puisque je vois parfois ce Persona classé parmi les meilleurs Shin Megami Tensei – rien que ça. Le problème vient sûrement des espoirs que j’avais placé en lui : dès son opening (celui de la version originale) et sa cinématique d’ouverture, le jeu surprend par un style minimaliste et anxiogène, presque malsain, porté par une avalanche de symbolisme morbide. Encore aujourd’hui, regarder cette introduction avec la génialissime piste Burn My Dread me colle des frissons ; cependant, l’utilisation du « Memento mori » et autres citations philosophiques semble être de l’ordre de la frime plutôt que de la véritable réflexion.


Et c’est sans doute le point qui me dérange le plus chez ce jeu : en fin de compte, Persona 3 est vide. D’abord, vide de propos : le titre tourne autour du thème de la mort, certes, mais qu’est-ce qu’il nous raconte ? Rien, si ce n’est qu’on va tous crever un jour, sur fond de morale digne d’un nekketsu. Ce n’est pas évidemment pas quelque chose de mal, et Persona possède de manière générale un esprit très shonen. Mais gaver le jeu – entre autres – de symboles christiques dans le simple objectif de paraître « profond » est une autre chose. Voici un simple exemple : l’evoker, objet en forme de pistolet dont les utilisateurs de Persona se servent afin d’éveiller leur pouvoir. S’ils doivent mimer un acte de suicide, c’est pour deux raisons : d’abord, parce qu’Atlus voulait ajouter un élément choquant à leur jeu pour attirer l’attention ; ensuite, parce qu’il mime l’action de détruire son enveloppe corporelle pour révéler le véritable soi – le Persona. Cela pourrait être intéressant, mais concrètement, qu’est-ce que l’evoker raconte ? Qu’est-ce qu’il apporte à l’univers, à l’histoire ? Absolument rien ; il n’est que là pour le symbolisme.


L’histoire globale brille aussi par son manque d’originalité et de capacité à maintenir l’attention du joueur, les révélations étant soit extrêmement convenues, soit inutilement compliquées (au point où les personnages doivent organiser une FAQ pour que le joueur ai bien compris…). Quant aux personnages, alliés comme ennemis, ils ne sont que l’écho de cette absence de substance. Passé leur découverte, Junpei, Yukari, Mitsuru, Akihiko et tant d’autres n’ont au final rien d’intéressant à raconter. Et je ne m’attarderai même pas sur Strega, qui – sans spoil – est l’équipe d’antagonistes la plus pathétique que je n’ai jamais vu, chacun ayant le charisme d’une huitre desséchée sous le soleil d’été. Et quel est le sens des Persona dans tout cela ? Que révèlent-ils de nos compagnons, quelle vision apporte-t-il de la théorie de Carl Gustav Jung, philosophe qui a inspiré la série… ? Certains y trouveront peut-être une réponse, mais personnellement, je n’ai pas réussi à la dénicher.



Conclusion



Persona 3 est un train qui s’est lancé à pleine vitesse, m’emportant dans son univers si particulier et ses mécaniques, avant que sous le poids de la répétitivité, de la frustration, et de l’exaspération, il ne finisse par dérailler. Mais malgré tous les défauts que je lui trouve, malgré la patience qu’il a usé, malgré les soupirs qu’il m’a arraché, je ne pourrai pas le traiter de mauvais jeu, ni même de jeu moyen. Ce serait mentir que de dire que je n’ai pas passé un bon moment sur Persona 3, même si je ne le recommanderais pas, ni y rejouerais. Après tout, il m’a introduit à une série qui s’améliore d’opus en opus, et il m’a créé trop de bons souvenirs pour que je puisse cracher dans son dos. Certains amours sont douloureux, et on se sent bien misérable de reconnaître qu’ils persistent malgré la souffrance infligée…

oRealSan
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le 16 juin 2020

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oRealSan

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