Le roman l'Adieu aux Armes, publié en 1929, est l'un des fondements du succès de la carrière d'Ernest Hemingway, un livre qui lui a donné la liberté de continuer à écrire et raconter ses histoires, au-delà d'une belle récompense publique, il s'agit surtout d'un livre bien ancré dans l'imaginaire et l'univers de son auteur, décrivant un monde sombre, perdu et absurde, où de jeunes gens désaxés partent livrer une guerre vide de sens, n'y trouvant ni but, ni répit, et bien que s'agissant d'un roman axé sur une histoire d'amour, le sentiment amoureux est ici autant écorché que la futilité de la guerre elle-même. Il faut savoir que Hemingway a basé une grande partie de A Farewell To Arms sur ses propres expériences, notamment une relation qu'il avait avec une infirmière, Agnes von Kurowsky, alors qu'il était déployé à Milan. La description des différents événements et personnages de ce livre ont été inspirés par les hommes et les femmes que Hemingway avait rencontré en Italie, y compris ses anciens camarades de la Brigata Ancona.


En tant que tel, et en acceptant un récit moins mélodramatique et légèrement simplifié de l'histoire d'origine, ce film apporte un réel sentiment d'authenticité à ce sujet, allant des paysages magnifiques de l'Italie, à la tristesse de la vie des hommes du front, dont notre héros, Frédéric Henry, en partance pour Caporetto.


Parlons un peu du synopsis:


Rock Hudson joue ici le lieutenant Frederic Henry, un américain servant comme conducteur d'ambulance sur le front italien pendant la première guerre mondiale. Suite à une blessure aux jambes causée par un tir de mortier, il est transféré à l'hôpital militaire américain de Milan, et y fait la rencontre de Catherine Barkley (Jennifer Jones), une infirmière britannique dont il tombe follement amoureux. Mais leur romance illicite ne tarde pas à être découverte, et le lieutenant Henry est renvoyé au front. Une défaite catastrophique à la bataille de Caporetto entraîne la déroute de sa compagnie, du fait de la lente et désorganisée retraite, Henry décide de prendre la tangente, et de quitter le sentier emprunté par l'armée et la population afin d'éviter d'être pris pour cible par l'ennemi. À ce moment-là, en tant qu'officier, Henry est qualifié de déserteur et mis à l'écart pour être jugé par une police de l'armée interrogeant et exécutant sommairement tout officier tenu pour responsable de la défaite. Pour échapper à ce simulacre de justice, Henry s'enfuit et cherche à rejoindre Catherine. Par la suite, les deux amoureux seront contraints de prendre une décision quant à la suite de leur histoire, et sur la façon de survivre à la folie d'un monde en guerre qui n'offre aucune place à la romance...


En un sens, ce film nous présente le meilleur de l'Italie, ses villes et son architecture, le témoignage d'une civilisation millénaire. Comme le dit un personnage, les italiens ont été des bâtisseurs, tandis que les allemands ont été les créateurs d'une machine de guerre supérieure. Mais on nous présente également les plus sombres penchants de ce peuple, dont l'impitoyabilité de son armée, autant face à ses ennemis que face à ses propres soldats. Comme le film nous le dit, en temps de guerre, la civilisation n'a pas grande utilité, le public n'est d'ailleurs pas épargné du spectacle morbide de la décomposition totale de toute forme de société dans cette guerre infâme, avec des corps suspendus aux arbres ou aux rebords des maisons, des bébés abandonnés sur le bord de la route, ou tétant le sein de leur mère inconsciente au fond d'un fossé, ou encore des soldats se battant l'un contre l'autre pour obtenir une place en ambulance.


L'horreur des images présentées ici sert à nous rappeler qu'entre les séquences magnifiquement lentes où Frédéric Henry et Catherine Barkley tombent amoureux, la guerre est présente juste à côté, à un simple voyage en train, plus leur romance continue, plus les scènes de guerre deviennent violentes et insoutenables. L'intrigue présentant un homme désertant l'armée par amour est d'ailleurs un choix de dramaturgie particulièrement intéressant, ce film présentant des moments de bonheur qui sonnent vrai, offrant un contraste entre une histoire d'amour interdite et l'horreur de la guerre des Alpes, malgré son statut de film de guerre, il ne s'agit pas d'un métrage particulièrement rythmé, mais plutôt d'une œuvre jouant sur les codes du genre.


Cette version de 1957 met plus en évidence l'incapacité d'Hemingway à écrire des caractères féminins forts, le CinemaScope y étant certainement pour quelque chose. La beauté des images présentées laisse souvent bouche-bée, on se surprend à s'émerveiller devant des petits détails, tout comme Hemingway est capable de faire frissonner son lecteur simplement en décrivant du bacon qui frit dans les bois, mais semble plus en difficulté au moment de faire ressentir des émotions à travers le personnage de Catherine Barkley, cependant, Rock Hudson et Jennifer Jones sont tout bonnement parfaits dans la peau de leurs personnages, et remplissent aisément le trou béant laissé par l'absence de conflits internes du lieutenant Henry, un aspect pourtant capital du film de 1932, qui insistait clairement plus sur le thème du tiraillement entre un amour interdit et les devoirs militaires d'un homme, qui devaient le pousser à faire un choix.


La direction d'acteur est d'ailleurs intéressante dans le sens où elle fait référence à une forme de cinéma purement expressionniste. Dans les grandes lignes, le film remplace le traitement psychologique par des aspects plus formels. Le mélodrame est ici renforcé par la grandiloquence, la musique romantique et la gestuelle de Hudson et Jones, qui semble parfois sortir tout droit d'un film muet d'époque.


La vision de Charles Vidor n'est certainement pas inférieure à celle de Borzage, mais tout de même différente dans certains aspects de mise en scène, bien que l'on ait droit à certains moments déchirants, en particulier à la fin du film, il ne s'agit pas d'un film globalement aussi réussi que son aîné, particulièrement dans son côté mélodramatique, en somme, on gagne en spectacle là où on perd en lyrisme, il ne tient qu'à vous de décider laquelle de ces deux visions de l’œuvre d'Hemingway est la meilleure.


Pour continuer sur un plan plus technique, il s'agit d'un film très riche visuellement, le CinemaScope Deluxe Color permet de laisser entrevoir une myriade de détails, et produit une qualité impressionnante pour l'époque, bien que la restauration de la pellicule d'origine ne soit pas parfaite, avec de nombreux défauts encore visibles à l'écran, insuffisant toutefois pour gâcher le plaisir du visionnage. Un petit bémol est également à formuler concernant la composition de certains cadres, avec une image parfois molle et terne, rien de bien grave dans l'ensemble cela dit.


La piste audio Dolby Digital 3.0 est de qualité, et permet de mettre en avant la très belle composition de Mario Nascimbene, le design sonore est joliment retranscrit à travers les haut-parleurs stéréo tandis que les canaux arrière fonctionnent en tandem pour offrir une ambiance parfaite pour l'action.


Pour résumer, cette vision plus moderne de l’œuvre de Hemingway offre un spectacle différent du film de Frank Borzage, mais tout de même intéressant. Comme beaucoup de films de guerre, il s'agit d'une œuvre présentant un message pacifiste. Le public est ici amené à remettre en question la morale des décisions prises par les militaires italiens à plus d'une occasion (en sachant qu'ils sont sensés être les «gentils» dans cette guerre!). De ce point de vue-là, aucune différence notoire avec le film de 1932 ou le roman de base n'est à signaler, mais en 25 ans, bien des choses ont changé, une autre Grande Guerre est passée par-là, contribuant à changer le public, les auteurs, et même la façon de faire et de penser le cinéma. Cela se remarque d'abord par la durée des deux œuvres, en passant d'un film d'une durée de 78 minutes en 1932 à 152 minutes en 1957, on change de registre, le film de Vidor étant plus axé sur la politique de grand spectacle en vogue à l'époque à Hollywood. La grandiloquence de la direction photo va également dans ce sens, avec un certain nombre de plans magnifiques des Alpes italiennes enneigées, des petits villages de montagne, du lac de Côme et plus encore.


Il s'agit, dans l'ensemble, d'une production luxuriante, pleine de couleurs et de vivacité. Perdant peut-être un peu en intensité et en tragédie par rapport à son matériau de base, mais présentant un spectacle de qualité et une vision du mélodrame de guerre tout de même fascinante, un film qui ne contentera certainement pas tous les amateurs de Hemingway, mais qui mérite assurément le coup d’œil!

Schwitz
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le 18 nov. 2016

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