Qui est le film ?
L’affaire Bojarski s’inscrit dans une veine de bio-fiction qui cherche à ressusciter un artisan de l’ombre dont la virtuosité frôle l’illégalité. Sur le papier, le projet séduit : raconter l’histoire d’un faussaire de génie, véritable alchimiste du papier et de l’encre, qui met son savoir-faire au service d’une perfection interdite. En surface, le film promet une réflexion sur le rapport entre création et transgression, vérité et illusion, art et crime. Or, cette ambition se heurte à la fiction qu'il met en place.
Que cherche-t-il à dire ?
Ce que le film interroge, ce n’est pas la faute, mais le geste : l’acte de fabriquer, de recomposer le réel à partir d’une idée. Bojarski veut être le meilleur, pas le plus riche, ni le plus admiré, mais celui dont la main n’échoue jamais. L’ambition du film est de faire sentir cette tension entre l’exigence de perfection et la chute qu’elle annonce. À travers son héros, le récit parle d’un mal moderne : l’impossibilité de s’arrêter avant la démesure. Bojarski ne veut pas tromper le monde, il veut le reproduire. Il veut que la copie soit si parfaite qu’elle fasse honte à l’original.
Par quels moyens ?
Le choix de reconstruire fidèlement les inventions de Bojarski à partir de brevets réels avait tout pour ancrer le film dans une matérialité vibrante. Pourtant, ce réalisme technique devient une sorte de piège : on admire la véracité sans jamais être saisi par l’enjeu. La machine, au lieu d’incarner un désir ou une folie, n’est plus qu’un objet de musée.
Bojarski ne veut pas voler, il veut être reconnu. Ce motif, essentiel, se réduit ici à un tic de scénario : tout est dit, rien n’est éprouvé. Les gestes, les regards, les silences (tout ce qui pourrait dire la solitude du perfectionniste) sont filmés à distance. On ne sent ni la fatigue du corps, ni la crispation de l’obsession.
Reda Kateb, choisi pour incarner Bojarski, aurait pu être une présence habitée et trouble. Mais il reste sous-écrit, enfermé dans une posture de retenue. Le film ne lui donne jamais l’espace pour exister autrement qu’en symbole. On le regarde plus comme une surface que comme un homme. De même, toutes les personnes gravitant autour de Reda sont caractérisées à la truelle.
Visuellement, le film oscille entre la reconstitution sage et le pastiche esthétique. On devine les contraintes budgétaires, mais la pauvreté d’invention formelle n’est pas compensée par un sens du cadre ou du rythme. Chaque plan semble vouloir signifier sa rigueur sans jamais respirer.
Où me situer ?
J’admire le sérieux du projet, la volonté d’éviter les facilités du biopic. Mais ce respect du réel devient une forme de dévotion stérile face à la fiction qu'il met en place. Le film semble fasciné par sa propre probité, au point d’en oublier la vie. J’aurais voulu sentir la tension des mains qui découpent, l’odeur du papier humide, la peur de la découverte. À la place, je regarde une démonstration soigneusement cadrée, où tout ce qui pourrait déranger est neutralisé.
Quelle lecture en tirer ?
L’affaire Bojarski est un film qui voulait interroger le vertige de la création, mais qui finit par documenter la minutie d’un artisan. C’est un cinéma de la maîtrise qui a peur du désordre, un film sur la transgression qui refuse de se salir. C’est un film exact, mais pas juste. Une œuvre honnête, mais sans chair. Et c’est précisément ce qui le rend frustrant : il vise la précision, mais manque la vérité.