Définir le cinéma de François Ozon serait peut-être, quand on y réfléchit un peu, le défi cinéphile ultime : certes, on retrouve dans la filmographie de l’ex-étudiant de la Femis (puisque son parcours étudiant semble être une donnée indispensable à sa définition – ce n’est guère surprenant quand on sait qu’il est l’un des plus récents diplômés de l’école parisienne à s’être durablement installé dans le paysage cinématographique français) des thématiques récurrentes, des tics de mise en scène ou même des amours évidents (pour des acteurs, ou pour des genres), mais du bergmanien Frantz au molinarosque Potiche, en passant par 8 femmes et Sitcom, on passe en effet d’un extrême à l’autre. Ozon, s’il n’est pas un faiseur tâcheron, est un caméléon.


Quatre ans après Jeune et Jolie, le voilà de retour en compétition, encore une fois avec sa muse Marine Vacth, qu’il semble être visiblement le seul à savoir filmer (Rappeneau et Klapisch s’y sont cassé le nez) – mais ce n’est pas seulement vers ce visage connu qu’Ozon revient, c’est aussi vers ses premiers amours. On se souvient en effet du choc Sitcom, en 1998, son premier film, satire subversive d’une bonne famille CSP+ où la caricature sociale se dessinait par le trait d’un fantastique quasi-burlesque. Ozon reviendra, plus tard, au cinéma de genre : parfois piètrement, comme avec Ricky, mais également avec beaucoup de maîtrise (et de retenue), comme dans l’excellent Dans la maison. L’Amant double s’inscrit dans cette lancée, permettant au spectateur de retrouver ce Ozon de la démesure, de l’exubérant et peut-être même (si on est un peu mauvaise langue) d’une certaine forme de suffisance.
L’écriture lorgne dangereusement avec le ridicule, en partie car L’Amant double est un assemblage un peu écœurant d’idées en vrac, tant géniales que saugrenues. Le résultat est tantôt fatiguant, exaspérant, tantôt jouissif – cette déclinaison très Cronenberg du Elle de Verhoeven ne s’interdit aucune outrance, aucun excès. Ozon nous parle de jumeaux, de psychanalyse et de sexualité – mais au fond, c’est le portrait d’une crise identitaire qu’il réalise, celle de sa protagoniste, mais surtout la sienne : ce jumeau maléfique refoulé qu’il garde au fond de lui et qui, deux ou trois fois par décennies, explose complètement dans un concert d’influences dévorantes. Ozon, c’est un peu l’enfant chéri du cinéma français qui, à chaque pleine lune, redevient son enfant maudit. Il en fait des tonnes, L’Amant double est d’une densité aussi remarquable qu’effrayante, mais c’est bien là son charme.


Frantz était le film de la maturité, L’Amant double est celui d’un retour au primitif. La chair, l’homme, la femme, le sang – en faisant se succéder fantasmes et terreurs freudiennes, Ozon réalise un autoportrait psychanalytique saisissant. Tout le monde, même lui, en fait trop, mais l’ensemble en conserve sa logique propre : on est à deux pas du nanar (certains diront qu’on est en plein dedans), mais cet Ozon déchaîné sait faire plaisir. Imparfait et parfois aussi subtil qu’un porno, certes, mais orgasmique.

Vivienn
5

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le 7 juin 2017

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Vivienn

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