L’ouverture de L’amour qu’il nous reste est à prendre au sens propre comme au figuré : on y voit une grue arracher la toiture d’un vaste hangar, dans un mouvement insolite qui enlève sa fonction d’abri à la construction : une étrange suspension, un nouveau regard sur un lieu qui gagne en poésie ce qu’il perd en structure. Une métaphore, en somme, de la famille que nous allons suivre une année durant, dont la cellule se voit modifiée par la séparation des parents, et les visites régulières du père qui aimerait pouvoir rester, alors que son ex-épouse lui fait accepter son statut d’invité privilégié.


Pálmason a, au fil de ses longs métrages, exploré deux thématiques : les marques du passage du temps, et le mouvement de la vie. La première se construit sur les visions successives d’un même lieu, ou d’une construction en cours (ici, les œuvres de la mère, plasticienne et adepte du land-art, ou de l’épouvantail/chevalier construit par les enfants), sur lesquels passent les saisons, les climats et les lumières. La seconde occasionne des séquences décrochées, véritables poèmes visuels, où le cinéaste laisse la caméra s’attarder sur les frémissements de la nature, le ruissellement de l’eau ou les machines utilisées par les marins-pêcheurs.


Le film est ainsi presque dénué d’histoire : il s’agit avant tout de saisir, dans son authenticité brute, la vie d’une famille, les quêtes de chacun, sous le regard bienveillant et fidèle du chien Panda, mentionné dès le générique, et important au point d’avoir fini par gagner la prestigieuse Palme Dog lors du Festival de Cannes 2025. La spontanéité des enfants, et leur naturel saisissant ne sont pas dus au hasard : il s’agit de ceux du réalisateur, qui laisse souvent la caméra tourner pour filmer leurs échanges, leur questionnement et la complicité innée qui les unit.


C’est donc par une série de pas de côté que le cinéaste parvient à construire cette œuvre atypique : chronique familiale dénuée de drame au pathos chargé, film sur l’Islande évitant la carte postale factice (notamment par le recours au format carré 1.33:1), film expérimental et chronique intimiste à la fois. Ce mélange des genres se retrouve également dans la savoureuse variation des tonalités, le cinéaste se permettant de véritables moments de comédie, que ce soit dans l’accident d’un des enfants ou de délires beaucoup plus loufoques, où l’imaginaire des protagonistes semblent prendre le pas sur la réalité, et provoquer crash d’avion, chute grotesque ou apparition de coq géant. Cet étonnant agrégat offre au spectateur un film, qui, s’il évoque l’existence la plus commune d’une famille, parvient à projeter une poésie à nulle autre pareille.

Sergent_Pepper
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