En allant voir « L’Apparition », on sait que l’on s’apprête à retrouver Vincent Lindon (Jacques Mayano, dans cette nouvelle réalisation de Xavier Giannoli) et la jeune Galatea Bellugi (ici Anna), que l’on avait déjà admirée aux côtés de Kacey Mottet Klein, dans « Keeper » (2016), de Guillaume Senez. On sait que le personnage de Jacques devra participer à une « enquête canonique », visant à déterminer l’authenticité d’une « apparition » virginale aux yeux de la jeune femme.


Le trait de génie de Xavier Giannoli est d’ouvrir son film en remontant avant ce savoir. On découvre ainsi Jacques, prostré dans une chambre d’hôtel étrangère, contemplant fixement l’appareil ensanglanté de son compagnon de reportage. Le paysage mental se déploie aussitôt, gagne en profondeur et le personnage héroïque se trouve comme happé par tout un passé. La suite immédiate confirme le traumatisme de guerre, doublé par le traumatisme du deuil. Un état de vulnérabilité, de désorientation optimales pour ce qui attend Jacques, avec l’engagement, d’abord un peu réticent, dans cette nouvelle enquête.


Le film connaît alors un long état de grâce, porté par le doute, d’abord spontané, puis défensif, de Jacques, par le regard clair d’Anna et ses récits miraculeux, livrés d’une voix calme et presque enfantine, et par la musique, qui puise dans le plus beau répertoire sacré, du baroque (Monteverdi, Bach...) au contemporain (Arvo Pärt). La force de ce long plateau réside dans l’intensification simultanée de deux mouvements antagonistes : le doute et la croyance ; mouvements à la fois incarnés par les deux personnages principaux du film et ressentis au plus profond de lui-même par le spectateur. Jacques, tout comme les confrères de sa commission d’enquête, a toutes les raisons de douter ; c’est d’ailleurs ce qu’on lui demande, professionnellement parlant. Anna semble encore prise dans le ravissement de sa vision, ne laissant flotter sur le monde « réel » qu’un regard qui ne le perçoit qu’à peine, comme tourné vers de plus hauts objets... Le spectateur se trouve ici confronté aux grandes questions du visible et de l’invisible, du rationnel et de l’irrationnel, du scepticisme ou de la foi. Comme le personnage de Jacques, et comme gagné par l’irréalité qui nimbe Anna (tour de force assez prodigieux réussi par Galatea Bellugi...), le spectateur se retrouve lui-même vacillant, tenté de croire... Mais croire à quoi ?... Dans de brefs éclairs de conscience, on se demande ce qu’a entrepris de démontrer le réalisateur, et quelle issue il va pouvoir donner à son film...


Parfois, en effet, il faudrait pouvoir ne pas finir, rester sur un doute suprême et superbe. Quelques fils, déjà, nous orientaient vers une autre histoire plus compliquée, tortueuse, une ancienne amie d’Anna, Meriem, à présent disparue, une correspondance cachée. Ce filon s’impose dans l’ultime partie de ce long-métrage chapitré, comme une clé venant tout à la fois dénoncer une imposture et confirmer un miracle. Brusque retour au réel, soudain orchestré par une symphonie tonitruante et forcée. Mais, non content de nous faire aussi brutalement atterrir, le réalisateur se ménage, courageusement, un non-choix... Assez difficilement crédible, qui plus est... N’est pas chat qui veut : il faut savoir retomber sur ses pattes... Quitte à conclure en donnant des clés bien rationnelles, tranchons, au moins. Ou alors il fallait oser le doute. Instabilité plus noble, plus risquée, et qui aurait permis d’adhérer davantage au profond remuement subi, dans le secret de son âme, par Jacques...


Un film violemment biphasé, donc. Mais dans lequel la phase maladroite vient en second, ravalant toutes les audaces de la première. Ce que l’on pardonne mal.

AnneSchneider
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le 21 févr. 2018

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Anne Schneider

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