Ici, un road-movie : Tedo et sa mère ont fui leur Abkhazie ravagée par la guerre. Elle se prostitue, lui vit de larcins et finit, à douze ans, par se décider pour un retour aux sources. Il prend donc la route, se fait jeter d’un train et d’une voiture, passer pour un sourd-muet, nourrir par des inconnus, accueillir par une vieille tante et adopter par des soldats, non sans avoir vu la mort.
L’impression que l’Autre Rive ne porte de regard sur rien, en dehors de cette gamme de regards convenus sur les difficultés de l’enfance quand on est un semi-orphelin errant parmi les ruines d’une guerre civile… Avec en filigrane quelque chose comme ce chantage : « Si vous n’avez pas aimé ce film, vous êtes 1° un Occidental 2° sans cœur 3° inapte à comprendre le Choc qu’est l’Art. »
Peut-être y aurait-il une étude de fond à mener sur ces films indépendants à prix, dont l’Autre Rive est un parangon, qui probablement recevraient des critiques plus farouches s’ils étaient produits ailleurs que dans des pays cinématographiquement peu développés – ici, une coproduction géorgiano-kazakh. Ils portent invariablement l’étiquette « pour public citadin et cultivé » : quand on ne fréquente pas les festivals indépendants, qu’on vit à plus de trente kilomètres d’une salle d’art et essai ou d’une médiathèque, et que regarder Arte jusqu’à 2 heures du matin pose problème, impossible de les voir – ce n’est pas le bouche-à-oreille qui fera effet, ni le téléchargement. Quand on fait ces films, on ne court finalement pas un si grand risque. Autrement dit, les voir, les produire et les diffuser, c’est une question de prestige, de capital culturel : « nous faisons partie du même monde, fait pour ces films et pour qui ces films sont faits. »
Si encore l’Autre Rive était techniquement marquant, pour ses plans, ou son scénario, ou son jeu d’acteurs… Mais non. J’ai connu des fictions terroir de France 3 ou des épisodes de Maigret au moins aussi aboutis cinématographiquement.
Certes, tout n’est pas à jeter dans l’Autre Rive : sa structure en saynètes qui joue sur les ellipses propose un bercement plein d’échos qui n’est pas désagréable, et il en émane une forme de retenue, sinon de pudeur, qui n’est pas malvenue en ces temps de cinéma démonstratif. Les deux scènes au pessimisme larvé qui viennent clore le film – avant celle de la girafe – sont d’ailleurs plutôt convaincantes.

Alcofribas
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le 27 mars 2017

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Alcofribas

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