Après les vastes plaines désertiques d’Afrique dans Les Chevaliers Blancs où Vincent Lindon se persuadait d’avoir une conscience humanitaire en même temps qu’il essayait de redonner une chance à son couple avec Louise Bourgoin, Joachim Lafosse privilégie le retour à l’espace clos et intimiste d’une maison où un couple séparé n’a aucune autre alternative que celle de continuer à vivre ensemble. La complexité des relations de couple était déjà le thème central de A Perdre la Raison (2012) et pour lequel le cinéaste posait un regard tout en nuances pessimistes sur l'incompatibilité fusionnelle. Le cinéaste belge confirme avec ce nouveau film que c'est dans le drame de l'union impossible qu'il trouve toute son inspiration. Ce thème qui a fait travailler les esprits de la Nouvelle Vague, et qui continue d'être abordé sous toutes ses formes et coutures mais que Joachim Lafosse traite avec épure et la plus grande délicatesse. Chacun de ses récits émeut parce qu'il est un matériau d'identification conséquent et qu'il est difficile de ne pas ressentir de l'empathie pour ses personnages, surtout quand le cinéaste s'avère être également un aussi bon directeur d'acteurs. Avec L'Economie du Couple, il délaisse la tentative de reconstruction pour directement s'attaquer à la vie post-rupture, la délicate situation d'un homme et d'une femme obligés de vivre ensemble alors qu'ils ne se supportent plus. Délicate pour les deux concernés, mais aussi pour les deux enfants issues de l'union qui voient d'un œil innocent ce monde d'adultes complexe et paradoxal. Ce monde où les couples subsistent parfois pour d'uniques raisons financières, d'où l'économie conjugale qui donnent son nom au film.


Car cette économie du couple, on la retrouve partout. Que ce soit dans le partage des jours de garde, des tâches, de l’espace de vie, des amis, des disputes, des emmerdes et des bons moments. Ainsi, chacun réfléchit à la part qu’il a dans le couple et par extension définit ce qu’il représente socialement -ou du moins représentait- au sein de ce système. Mais surtout, cette économie interroge et fait face au paradoxe difficile de la séparation. Comment se départager sur l'appartenance matérielle ? C'est bel et bien le principal conflit de ce couple qui n'arrive pas à un accord sur le partage du coût de la maison. Soit le personnage de Bérénice Bejo déclarée administrativement propriétaire de la maison (appartenant autrefois à ses parents), soit celui de Cédric Kahn qui a fait tous les travaux sans en tirer compensation financière (étant en couple et vivant dans ladite maison) d'où cette situation qui les pousse à cohabiter ensemble alors qu'ils sont en instance de divorce. C’est de cette délicate "situation économique" dont parle Joachim Lafosse, celle qui figure aujourd’hui le lot de milliers de couples dans une société où l’on peut désormais se séparer aussi rapidement que se (re)mettre ensemble. Le personnage de la mère de Bérénice Béjo interprétée par Marthe Keller a cette phrase juste pour évoquer cette (dé)consommation du couple en déclarant qu’avant « on réparait les choses, on ne les jetait pas» . Ce personnage porte un regard pessimiste sur sa fille et son gendre et montre le fossé qu'il y a entre les couples d'aujourd'hui, et ceux du siècle dernier où il fallait se battre et passer au-dessus des difficultés pour maintenir l'union à flot. Joachim Lafosse montre alors que derrière le divorce rapide se cachent des couples qui n’ont pas d’autres choix (généralement par manque de moyens financiers) que de continuer à rester ensemble quand bien même ils ne se supportent plus. Et dans un procédé extrêmement minimaliste, la caméra ne quitte jamais la maison de sorte que L'Economie du Couple est un drame en à huis clos où tout l'intérêt pour Joachim Lafosse est de se focaliser sur la psychologie des personnages et d'une situation aussi exécrable et difficile à vivre pour la famille, les amis et les enfants.



Par la simplicité de sa mise en scène et malgré quelques étirements, le cinéaste belge réussit à tenir le rythme d’un procédé délicat et à nous toucher en plein cœur.



Comme dans Les Chevaliers Blancs, Joachim Lafosse confirme qu’il sait diriger habilement ses comédiens. On n’avait pas vu Bérénice Bejo depuis l’échec du Dernier Diamant en 2014 et pour son retour, elle retrouve comme une coïncidence un personnage assez similaire à ce qu’elle avait été dans Le Passé d’Asghar Farhadi, soit une dénommée Marie, une femme en instance de divorce en apparence froide et distante. Déterminée dans ses intentions de faire partir son ex-compagnon, elle démontre une facette nuancée d’un personnage attachant qui se voit rongé par la mélancolie d’un amour perdu et d’une situation invivable. A ses côtés, son (ex)mari est un personnage complexe incarné par Cédric Kahn que l’on connaît davantage pour ses réalisations (Une vie meilleure, Vie Sauvage) que pour ses prestations d’acteur. Un élément qui n’a aucune valeur ici tant il est épatant dans un rôle franc et autoritaire qui le pousse dans des excès de colère déments. Tout comme Sieranevada et Juste la fin du monde -également présent au Festival de Cannes 2016-, on se retrouve à table pour laver son linge sale en public. Il y a cette séquence poignante qui instaure un véritable malaise où lors d’un dîner avec ses amis, Bérénice Bejo refuse que son ex-compagnon vienne à table. C’est justement le moment pour lui de venir exprimer sa frustration et de montrer sa rancœur envers ceux envers qui il éprouvait autrefois une certaine sympathie et qui ont « choisi leur camp» . Ce qui est remarquable, c’est que la violence se fait avant tout par les mots et l'humiliation psychologique et que jamais Joachim Lafosse ne tombe dans la facilité de faire exploser physiquement ses personnages. Toute la finesse de l’écriture du scénario provient également de la multiplicité des états amoureux dans lesquels se retrouvent les deux personnages, allant de la haine à l’amour en passant par le mépris et l’hystérie. Le fait qu’il soit possible de retomber dans les bras de l’autre laisse à penser que Joachim Lafosse croit que l’amour entre deux personnes ne disparaît jamais vraiment. Et pourtant, c’est toujours l’économie qui rattrape ces personnages fixés sur leur part commune et leur intérêt matériel.


S’il arrive que le film se fasse long, c’est sans doute pour nous faire ressentir à quel point le temps semble pesant lorsque l’on vit avec une personne qu’on ne supporte plus dans un espace aussi clos. C’est dans ses dernières minutes que la caméra se décide enfin à sortir de cet oppressant appartement, comme une manière de résoudre définitivement la situation de ce couple. L’Economie du Couple est une autopsie remarquable de la complexité des sentiments amoureux dans une séparation. De belles nuances ponctuent cette sincère et émouvante descente aux enfers de deux anciens amants. Simple et bouleversant.


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Softon
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le 31 juil. 2016

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Kévin List

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