Attention, cette critique contient d'énormes spoils sur l'histoire du film et du livre.

Alors voilà, toute première critique sur ce merveilleux site. Pour la peine, j'ai choisi un film vu assez récemment pour être encore frais dans ma mémoire, et assez enivrant pour m'inspirer.

Je dois avouer que j'envisageais le pire avec cette adaptation de l'Écume des Jours par Michel Gondry. C'est que, voyez-vous, je suis un fanboy fini du roman de Boris Vian, alors vu comment j'ai été outré par l'adaptation de l'Ordre du Phénix, inutile de dire qu'il m'aurait été impossible de faire abstraction du roman en regardant le film... Et en plus de ça, les deux ou trois critiques que j'avais lues étaient très mauvaises.

Quel est donc le verdict ? Très agréablement surpris, franchement. Pourtant, j'ai passé tout le film a lui chercher des défauts, voulant à tout prix, pour une raison mystérieuse, donner raison aux détracteurs du film. Peut-être pour éviter de devenir le seul connard à avoir apprécié le film, va savoir.

Déjà, scénaristiquement, le film reste très proche du récit originel, tout est là, l'intrigue est intact. Il y a cependant quelques retouches, dont certaines (la fin, principalement) sont assez consternantes. Gondry a aussi cru bon ajouter sa petite touche personnelle à l'histoire, notamment ces passages atypiques où l'on voit des centaines d'ouvriers écrire à la chaîne l'histoire même qui nous est racontée, un très bel écho à la critique du capitalisme et du travail présente dans l'oeuvre originale ; ou encore la scène du mariage, transformée en une espèce de course entre les couples Colin/Chloé et Chick/Alise. Si la première trouvaille de Gondry est tout à fait la bienvenue et rajoute une couche intéressante à l'intrigue éclectique du roman, la seconde s'avère pour sa part longuette et sans intérêt, si ce n'est de nous rappeler que c'est Gondry qui est à la barre, et non plus Vian...

Visuellement, ensuite, le film est à tomber sur le cul. Certains trouveront le rendu très lourd, très chargé, et ils n'auront pas tout à fait tort, mais d'autres seront inconditionnellement charmés par cette patte graphique qui est tout à fait dans l'esprit du roman. En tout cas, ça ne peut laisser personne indifférent. Il ne fait aucun doute qu'entre les mains d'un Américain, l'univers hautement absurde de Boris Vian aurait été retranscrit grâce à des images de synthèse. Mais Gondry a plutôt opté pour du stop motion principalement. Les fans de Tim Burton ne seront pas dépaysés, mais il est vrai que l'effet est plutôt déconcertant pendant les premières minutes. Le contraste entre "ce qui est filmé" et "ce qui est photographié en stop motion" est énorme et rend l'univers du film complètement loufoque, pas crédible pour un sous. Et pourtant, c'est là tout le charme de la réalisation.

Certains diront aussi que Gondry se concentrent un peu trop sur ces fameux effets spéciaux et pas suffisamment sur l'intrigue, et bien que cette remarque ne soit pas dénuée de sens, elle n'est pas tout à fait juste. L'intrigue du film est fondamentalement identique à celle du roman. Mais l'Écume des Jours était déjà une oeuvre très minimaliste, où rien n'est vraiment expliqué, où les pensées intimes des personnages ne nous sont jamais livrées. Colin se retrouvait rapidement emmêlé dans une histoire amoureuse pas très épique, charmante par sa simplicité justement, par sa dépiction de l'amour au quotidien, de l'amitié aussi. Et puis il y a ce basculement vers le milieu du livre, tout commence à dégringoler, à s'effriter, mais jamais on n'a d'explication, d'introspection, de commentaire sur tout ça de la part des personnages, qui ne font que vivre et respirer, et qui affrontent leurs divers problèmes avec les moyens du bord. Cette ambiance est excellemment rendue dans le film, où les dialogues sont banals au possible, où les personnages n'ont pas plus de charisme que vous et moi. Audacieux quand même, de mêler le réalisme du quotidien au surréalisme de l'univers, mais c'est un peu ça le génie de Vian, fidèlement adapté par Gondry.

En plus de tout ça, le film est juste à mourir de rire. L'univers de l'Écume des Jours est encore plus désopilant à l'écran, il n'y a qu'à voir ces fabuleuses et mémorables scènes de danse (le biglemoi) pour s'en rendre compte. Rien de plus tordant que de voir ces gens allonger leurs membres et danser en levant leurs jambes sur du Duke Ellington. Voyez, ce suis incapable de décrire cette danse, il faut vraiment le voir pour comprendre. Le film conserve aussi cette atmosphère très grave propre à la fin du récit, sans pour autant négliger l'humour, ce qui rend certaines scènes encore plus troublantes (un peu dans le même esprit que La vie est belle, cette comédie sur les camps de concentration ^^). Ces honnêtes ouvriers qui crèvent par la faute à Chick, qui sombre de plus en plus dans son délire sur Jean-Sol Partre, déchiquetés par une machine infernale (belle utilisation de mannequins d'ailleurs). Ou encore la mort de Partre lui-même, summum de l'absurde, et pourtant aussi synonyme de désespoir total de la part d'Alise. C'est cette rupture entre la gravité de l'histoire et l'humour absurde avec laquelle elle est contée qui fait toute la magie.

Mais parlons de la fin maintenant. Une très bonne fin qui reprend grosso modo l'esprit du roman. Mais en tant que fan de l'oeuvre originale, j'ai été quelque peu consterné. Notez qu'il ne s'agit là que de détails dont tout le monde se fout sauf moi. Déjà, lorsque Chloé est enterrée sur l'île, à la toute fin, Colin en profite déjà pour tirer sur une multitude de nénuphars dans l'eau. C'est bien, ça démontre à quel point il est furax contre la race des nénuphars. Sauf que dans le roman, il attend plutôt qu'un seul nénuphar remonte à la surface pour le trucider. C'est subtil, c'est banal, mais cette question d'attente fait toute la différence. Dans le film, Colin commet presque un crime passionnel, il tire de rage au hasard dans l'eau, sachant qu'il ne touchera rien (son arme est quelque peu défectueuse...) alors que dans le livre, il attend sagement que sa proie tombe entre ses pattes pour l'assassiner froidement. Personnellement, je trouve la version de Gondry beaucoup moins efficace. Ensuite, autre truc qui me démange, c'est la toute toute fin, celle concernant la souris qui squattait précédemment chez Colin. Dans le livre, elle décide de se suicider en demandant à un chat de la croquer, mais celui-ci refuse car il n'aime pas manger des souris, du coup il met la souris dans sa gueule et attend que quelqu'un lui marche sur la queue pour que la douleur lui fasse fermer la bouche brusquement. Et le roman se termine sur une bande de fillettes aveugles qui arrivent en direction du chat. Je trouve cette fin absolument désopilante. Dans le film, ben... la souris a un stand de dessins qui relatent l'histoire de Colin, et puis c'est tout. Sérieux.

Alors bon, quelques déceptions de fans qui sont pas vraiment justifiables (c'est purement subjectif, vous l'aurez compris), mais globalement, fondamentalement devrais-je, l'adaptation de l'Écume des Jours par Michel Gondry est une franche réussite. Encore une fois, certains ne seront pas forcément attirés par son esthétique ou son humour particulier, mais c'est avant tout envers Boris Vian qu'ils devraient adresser leurs critiques dans ce cas. Parce que le film de Gondry est extrêmement fidèle à l'esprit, au génie, du roman de Vian.
Francis_Janvier
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le 16 déc. 2013

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Francis Janvier

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