Notre planète Terre, la planète bleue, ce petit bout de caillou, cette « aiuola che ci fa tanto feroci » comme dirait l’autre, devient dans la dernière fantaisie de Bruno Dumont le terrain d’une confrontation épique entre deux factions extra-terrestres au nom informatique, les « Zéros » et les « Uns ». Tout ça pour dire que ça se passe dans le 62.
Les premiers, tout de noir vêtus, représentent le mal, l’entropie, le néant. Les seconds tout le contraire, la lumière, la vertu et le bien. Quoiqu’au final on ne parvienne pas vraiment à les distinguer ni à distinguer leurs objectifs respectifs. Pourquoi se battent-ils ? Qui est le Margar, cet enfant divin annonçant l’apocalypse ? Quels sont les enjeux grandioses et cosmiques de leur lutte ? Pourquoi le Nord-pas-de-Calais ?
Autant de questions qui ne trouveront pas de réponses dans cette pellicule filmée fort joyeuse et divertissante. Bruno Dumont, malin comme un singe, utilise le dispositif science-fictionnel (et ses tropes : l’agenouillement, le conseil à cheval, la bataille spatiale, le trou noir etc.) comme un prétexte pour filmer des jeunes gens pris dans les flux énergétiques du Désir. Voir par exemple ces lignes de dialogues mémorables : « ton petit cul m’excite. Regarde comme tu me fais bander ». On est à la limite du JDR grandeur nature. On se demande à tout moment si le scénario va s’interrompre pour révéler que tout cela n’était qu’une farce, un jeu, qu’il n’y a pas plus de Margar que de zéro, de un et de guerre intergalactique. Ce sont juste des jeunes gens qui jouent devant des adultes médusés et dépassés, comme la paire comique de gendarmes, ou des vieux, attendrissants et « cocasses », comme le dit le personnage de Camille Cottin après avoir échangé avec cette dame qui boite en allant faire ses courses. Des jeunes qui dégainent des sabres lasers, se prennent pour des démons, s’aiment malgré leur rivalité comme des Roméo et Juliette ch’ti et finissent invariablement par baiser en toute simplicité. Au milieu des chevaux. Dans une barque au milieu de la mer en plein soleil. Le Nord-Pas-de-Calais prend une dimension héroïque. Le réel est exhaussé. Il n’est pas nécessaire de comprendre l’Empire. Il suffit juste de l’apprécier.
Mention spéciale à la scène gracieuse où le cheval de Fabrice Lucchini, dans son costume d’empereur du néant à la Moebius (le Dune de Jodorowski a essaimé jusque là…) effectue un pas de danse devant les trois musiciens qui jouent leur musique classique jazz astralo-interstellaire.