Adapté de l’ouvrage de l’ethnobotaniste Wave Davis (« The serpent and the rainbow »), L’emprise des ténèbres est peut-être bien le chef d’œuvre inachevé du réalisateur australien Wes Craven, qui signe là une œuvre ambitieuse et passionnante, aux confins de l’inexplicable.

L’emprise des ténèbres tisse sa toile horrifique sur une peinture quasi-documentaire de la société et la culture haïtienne. Point de boogyman, de tueur en série ou de monstre répugnant. Film d’épouvante, film politique, œuvre onirique et métaphysique, documentaire, thriller voire film d’aventure… L’emprise des ténèbres est une œuvre hybride qui excelle à dépasser les codes du film d’horreur de série B sauf dans sa fin pour le moins bâclée.


Une plongée dans la culture haïtienne


Le héros du film, un Yankee mandaté par un laboratoire pharmaceutique, se retrouve à Haïti en 1978 afin d’enquêter sur la fausse mort d’un homme (inspiré de l’histoire de Clairvius Narcisse) et in fine découvrir les secrets du poison Zombie. Wes Craven fait ressortir d’Haïti sa culture et sa science de l’indicible et de l’invisible. Sa magie. D’une moitié d’île située à côté de la toute-puissante Amérique, Wes Craven renverse l’échiquier du pouvoir et fait d’Haïti un territoire au mystère dont le caractère est si infranchissable qu’il lui confère un pouvoir impalpable et pourtant bien présent.


La religion vaudou en Haïti est le fruit des religions africaines déportées par les esclaves et originaires du royaume de Dahomey (actuels Bénin / Togo) avec le christianisme. A l’instar de Silence de Martin Scorcese, L’emprise des ténèbres met en exergue le phénomène du syncrétisme religieux en montrant par exemple l’assimilation de la Vierge Marie avec la déesse Erzulie, déesse de l’amour, par les haïtiens. Ainsi, chaque personnage, scène de la vie sociale (mariage, rites, faits divers etc.) ou histoire familiale sont marqués par le vaudou.


D’un point de vue anthropologique, le film est extrêmement intéressant et permet de situer un mythe du langage cinématographique d’horreur (le zombie) au cœur de sa culture d’origine et de croiser les domaines de la fiction et des sciences humaines, d’autant que sa mise en scène documentaire préserve son authenticité.


Film d’aventure à portée onirique et métaphysique


Le vaudou mais aussi le chamanisme posent les thématiques de l’emprise spirituelle, voire de la dictature spirituelle, en écho avec la dictature politique (j’y reviendrai). Dennis est constamment sous la menace de perdre le contrôle de son esprit, de sa vie mais aussi de sa propre mort. Homme de science rationnel, il est soumis à des manipulations et à des visions et devient peu à peu victime d’un mal invisible et inconnu qui l’incite à remettre en question ses propres fondements. En bousculant la dichotomie rationalité / magie (en incorporant des éléments scientifiques dans le procédé de fabrication du poison par ex.) jusque dans l’espace (scène de possession en plein dîner chic aux Etats-Unis), le film invite à l’identification avec Dennis, quidam occidental dont les repères deviennent incertains.


Cependant, s’il y a de vraies scènes d’épouvante, on ne bascule jamais vraiment dans l’horreur pure, (sauf peut-être dans une mise en abyme évoquant Get Out de Jordan Peele, où Dennis assiste impuissant à sa propre mort dans une marée de sang), d’où un manque de radicalité dans cette œuvre pourtant dérangeante. Cela est d’autant plus problématique dans la fin du film, concentré de ridicule (cris démoniaques, visage brûlé, flammes de l’Enfer… on croirait une gravure moyenâgeuse).


Thriller politique


En parallèle se dessine également une intrigue politique, à mesure que le film explore courageusement les dessous de la dictature des Duvalier père et fils en Haïti. Les Duvalier utilisaient le vaudou comme une arme de dissuasion pour les opposants politiques à travers la milice des Tontons Macoute (dont son victimes Dennis et Marielle dans le film) entre autres. Le jeu du chat et de la souris, soupoudrée d’un zeste de torture et de meurtres, se développe entre Dennis et Peytraud et fait de L’emprise des ténèbres un film à mi-chemin entre le thriller et l’épouvante, sans pour autant être abouti dans un de ces deux aspects. Il faut souligner le jeu de Zakes Mokae, acteur au faciès singulier qui se démarque pour son jeu glaçant d’un prêtre de magie noire aux instincts sadiques dignes des tortionnaires mémorables du cinéma.


L’emprise des ténèbres est un film à découvrir impérativement pour tout passionné du cinéma d’horreur. Injustement méconnu, c’est un film qui mélange les thématiques et délivre une réflexion sur le pouvoir de la croyance et de la spiritualité avec une forme horrifique et un fond onirique. A moins que ce ne soit l’inverse…

Silencio
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le 29 déc. 2017

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