« Il est dur mais il a du cœur. On peut pas le comprendre »

Le premier film de Pialat peut être considéré comme une sorte d’art poétique programmatique. En choisissant pour thème l’enfance, il fait preuve d’une grande audace pour traiter de l’opacité de l’être humain qui sera le sujet de tant d’autres films, où, souvent, les amants ne se comprendront pas comme dans Loulou ou Nous ne vieillirons pas ensemble ou les adultes face aux vieux qui meurent, comme dans La gueule ouverte.
L’esthétique âpre et crue nous plonge dans un quotidien morne, celui d’un enfant orphelin balloté entre plusieurs familles d’accueil. Le coup de génie de Pialat est de décaper son sujet de tout pathos. Non, l’enfance n’est pas ce lieu magique et mythologique de l’innocence. On y expérimente la cruauté (le chat), le vol (la montre) et le remords : on tente de soigner le chat avant de revendiquer avec un sourire cruel qu’on l’a achevé, on raye et brise la montre avant de la balancer aux toilettes.
François, personnage insaisissable et de fait terriblement humain, n’a pas de message à nous transmettre, ne satisfait par le regard du spectateur qui pourra savoir quel camp choisir. Certes, les adultes sont terriblement maladroits, dans leur façon de parler des orphelins de façon aussi crue, dans cette scène du compartiment qui pourrait renvoyer à d’autres fantômes de convois acheminant de la marchandise humaine. Ils semblent tout aussi démunis que les enfants face à la tendresse, et cherchent à combler une faille par leur présence qui finir autant par leur peser que les satisfaire. Mais la tendresse qui émane de certains échanges, l’intensité de certains regards furtifs, la spontanéité d’un baiser fait à un « pépère » heureux d’avoir pu simplement parler, en acquièrent dès lors une authenticité profonde.
Film brutal, parce qu’honnête, recherchant la vérité des êtres en acceptant leur contradictions, c’est l’annonce de la grande et profonde cohérence de l’œuvre à venir de ce cinéaste décidément unique.

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Sergent_Pepper
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le 17 nov. 2013

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le 17 juin 2014

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Sergent_Pepper

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