"Amour, donne-moi ta force, et cette force me sauvera."

Quel agréable sentiment de dépaysement à l'occasion de cette tragédie romantique camerounaise ! Ce genre de moment, bien qu'imparfait, alimente une petite série de découvertes devenues extrêmement rares avec le temps et il faut essayer des dizaines de fois de se lancer sur des sentiers obscurs (c'est-à-dire trébucher sur des déceptions) pour en trouver un qui vaille vraiment le détour. Muna Moto arbore un noir et blanc très élégant en ce milieu des années 70, ainsi qu'une élégante structure en flashback expliquant le contexte de la séquence inaugurale dans laquelle on voit un homme enlever une jeune fille pour une raison inconnue à ce moment-là. Le film file une tragédie quasiment shakespearienne autour d'une union impossible entre deux amants, comme un Roméo et Juliette africain dans lequel la dot est au centre des enjeux, et s'autorise en outre de nombreuses excursions dans la jungle : autant de points d'accroche attrayants pour rendre cette histoire d'amours contrariées très attachante.


Le couple maltraité dans ses intentions formé par David Endene et Arlette Din Bell est magnifique, que ce soit dans ses élans romantiques, conflictuels ou dramatiques, il dégage quelque chose de vraiment touchant et sincère. L'amour qui unit leurs personnages Ngando et Ddomé sera mis à mal par l'oncle de l'homme, polygame qui accaparera la femme à la faveur d'une demande de dot — trop chère pour le protagoniste qui était venu chercher de l'aide chez lui. Ainsi on comprend que Ngando enlevait sa propre fille dans la première scène du film, suite aux nombreuses déconvenues avec son oncle et le désarroi qui s'est ensuite emparé de Ddomé, au terme d'un long flashback amenant les détails nécessaires et les émotions liées.


Jean-Pierre Dikongue-Pipa présente ainsi la déviance de la dot, l'emprise néfaste des bateaux des pêcheurs blancs qui appauvrissent l'eau et les habitants locaux, et plus généralement la rigidité de coutumes ancestrales patriarcales vis-à-vis d'une nouvelle génération. La narration est (volontairement, en partie au moins) relativement erratique au début, le temps que les pièces du puzzle s'assemblent et que le flashback prenne tout son sens, et d'un sentiment initial de confusion naît une tragédie très intime qui trouve sa source dans des personnages en prise avec des conflits de tradition.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Muna-Moto-de-Jean-Pierre-Dikongue-Pipa-1975

Morrinson
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le 17 nov. 2022

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