Après avoir mis en scène un des plus traumatiques enlèvements de l’Histoire italienne (celui d’Aldo Moro, leader du P.D., et perpétré par les Brigades Rouges) dans la très bonne série Esterno Notte, série qui elle-même précède le long-métrage Le traître (narrant la trahison de Buscetta, un mafioso repenti de La Cosa Nostra), Bellocchio raconte l’histoire d’un kidnapping perpétré par le pape sur un enfant juif qui trahira les siens en reniant sa religion originelle. C’est ce qu’on appelle avoir le sens de la transition.
En effet, Bellocchio a une œuvre très cohérente. Outre des thèmes de prédilection qu’il aime explorer (la trahison, la folie, l’enfermement, la société et la famille aliénantes, la révolte), il construit ses films autour d’une même problématique (la remise en question de la politique et des institutions italiennes), le tout sous le regard analytique et symbolique de la psychanalyse. Âgée désormais de 83 ans, il a certes perdu l’élan nouveau et la rage qui le portait à ses débuts dans l’excellent Les poings dans les poches, il garde toutefois une saine fraîcheur créatrice comme dans les scènes se situant entre rêves et fantasmes, à l’image de la descente de croix du Christ libéré ou du cauchemar du Pape s’imaginant circoncis par des Juifs revanchards, ou encore la folie passagère du père apprenant le verdict ou celle du fils venant bousculer Pie IX, ou enfin celle où Edgardo doit lécher le sol trois fois en faisant la croix, ce qui vient contrebalancer un film par ailleurs assez académique et manquant quelque peu de souffle.
La mise en scène demeure d’une rare et raffinée élaboration. Les nombreux parallélismes établis entre la famille Juive d’Edgardo et sa nouvelle famille d’adoption, c’est-à-dire l’Église, sont certes parfois trop schématiques mais ils participent à une construction claire et significative, démontrant à la fois les oppositions et les analogies entre les deux camps. Les scènes montées en syntagme alterné entre le procès et le rituel liturgique mettent en valeur la théâtralité commune à ces faits sociaux fondateurs de nos sociétés modernes (le droit et la foi) ; de la même manière, la scène où Edgardo enfant se cache sous le giron de sa mère puis celle où, plus tard, il se cache sous la robe du Saint-Père rapprochent ces deux figures à la fois autoritaires, aimantes et possessives, sans plus de genre qui les différencie mais un rôle protecteur et éducatif qui les réunit. Il faut noter que s’il ne fait aucun doute que Bellocchio, en homme épris de liberté, prend parti dans ce fait divers (local mais aux échos mondiaux préfigurant la mondialisation de l’information de nos jours et l’influence des médias) pour les Juifs, condamnant l’autoritarisme dogmatique et injuste de l’Église, soutenant par ailleurs les révoltes citoyennes (comme dans Vincere), prémices d’une Italie réunie naissante, il est nuancé dans son discours et, à travers le fils devenu adulte et athée, dénonce le fanatisme religieux, quel que soit son camp.
Un film très maîtrisé d’un des meilleurs cinéastes italiens encore en vie.
7,5/10