Le jeu des enfants dans le cimetière est l’un des premiers plans qui ouvre Staircase après le générique, soit l’association parfaite de la convoitise d’une jeunesse éternelle qui endolorit l’amour-propre d’Harry et de Charlie, tous les deux cinquantenaires et confrontés à leur décrépitude – dentiers dans un verre d’eau et varices pour l’un, chute de cheveux et ventre proéminent pour l’autre – et de la mort qui tourne autour des deux personnages comme un vautour en quête d’une proie : il y a d’abord la mort par parents interposés, la mère étant soit alitée dans un état de malade plaintive aux cris pénibles soit placée dans un auspice où elle végète et perd la mémoire ; ensuite la mort sociale, puisque le procès de Charlie risque de lui coûter réputation et liberté ; leur propre finitude également, la violence qui gouverne leur relation menant à des extrémités telles que le coup fatal ou le suicide constituent des options envisageables ; enfin, l’oubli à soi et aux autres, le pire étant de disparaître à la mémoire de l’aimé(e).
Stanley Donen adapte la pièce de théâtre écrite par Charles Dyer et choisit la forme du huis clos entrecoupé de brèves sorties au parc ou dans la rue : cet enfermement traduit à l’image la pression sentimentale et sociétale que vivent les homosexuels, incapables de s’épanouir dans une société qui ne veut pas d’eux et qui les accuse de trouble à l’ordre moral public alors qu’elle ne sanctionne pas les ébats extérieurs de ses jeunes hétérosexuels. Dès lors, l’émotion demeure contenue voire conjurée par la brutalité des dialogues ; elle n’éclot que par dangers imminents, tel un dernier adieu en forme de vœu en direction de l’escalier, métaphore de l’ascension vers un au-delà inatteignable, en témoignent les allers-retours intempestifs. Les décors sont aux aussi délabrés, cassés et sales, en dépit des efforts d’entretien accomplis par Harry : ils rendent compte de la brèche intérieure qui fragilise les personnages, marginaux anachroniques dont on se moque et qui nécessitent un temps de préparation pour entrer en scène – donnant lieu à une séquence silencieuse singulière située en début de film.
Staircase dénote dans le paysage de la comédie dramatique américaine des années 60 par la gravité tragicomique avec laquelle il confond les tonalités et aborde des thématiques peu représentées jusqu’alors, ainsi que par ses thèses progressistes à l’égard de l’homosexualité. Nous regretterons néanmoins une mise en scène trop statique, quoique dotée de subtilités certaines à l’instar de son attachement aux miroirs et autres surfaces réfléchissantes pour symboliser l’envers du décor. Une œuvre à ne pas négliger qui s’inscrit dans la veine mélancolique de son auteur – auquel appartient le magnifique Two for the road (1967), par exemple.