Tout est trop grand, tout est trop vide : on erre dans cette maison, située dans un village de la Castille profonde, en 1940. Les habitants font une pause dans leur quotidien, car, enfin, quelque chose se passe : "Frankenstein" va être projeté, à 17h, à la Mairie. Fernando, apiculteur, ne le sait même pas. Ce qu'il veut, lui, à la manière de Maeterlinck, c'est percer le mystère de cet être supérieur auquel les abeilles semblent obéir.
Ana, elle, y croit aux monstres. C'est une enfant, et elle veut percer un mystère aussi problématique que celui des abeilles : pourquoi Frankenstein a-t-il tué la petite fille, pourquoi les villageois ont-ils tué Frankenstein ? Sa sœur, Isabel, la met sur la piste : Frankenstein n'est pas vraiment mort, puisque son esprit continue de vivre dans une ferme abandonnée, à quelques kilomètres d'ici. Elle part à sa recherche, mais il n'y a personne dans la ferme.
Frankenstein, elle le croisera finalement à l'école. Ce jour-là, la maîtresse a décidé de leur enseigné l'anatomie. Don José, une marionnette, est là pour les y aider. Il suffit de mettre à la bonne place les organes de Don José, ses poumons, son cœur, son estomac. Il respire, il mange. Mais il ne voit pas. C'est Ana qui est chargée de lui mettre ses yeux : elle peut alors contempler cette créature montée de toute pièce, qui la regarde comme elle le regarde. De retour à la ferme, elle rencontre alors un fugitif. Peut-être que finalement, Frankenstein, c'est lui. Mais il va être tué. Alors, Ana s'enfuit. Au cours de cette fugue, elle croisera une dernière fois le monstre : d'abord dans son propre reflet, au bord d'un petit ruisseau, puis en chair et en os. Elle se retourne, il est là. Mais ce n'est pas Boris Karloff, c'est le masque du masque de Boris Karloff. Le mythe s'effondre ? Rien n'est moins sûr.
C'est le cinéma qui a véhiculé la légende : en abandonnant son père, sa mère, l'école, pour aller s'enfermer dans l'obscurité avec les autres habitants, Ana fait pour la première fois la rencontre du mythe, du mythe de Frankenstein mais plus largement du mythe du cinéma. Sa sœur, plus grande, plus raisonnable, lui fait remarquer qu'au cinéma, tout est faux : mais pour Ana, la réalité et la fiction se mélangent facilement, d'autant plus facilement qu'il faut bien remplir le vide de la maison avec un peu d'imagination. Le cinéma est appréhendé comme il devrait l'être, et le mythe avec.
Kouna
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le 29 nov. 2014

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