Jean-Pierre Mocky et Bourvil sont attablés quand une conversation à une table voisine pique leur curiosité et entraîne l’idée d'un film. Leurs voisines, deux jeunes femmes mariées voyant passer un séduisant garçon de café auraient évoqué le désintérêt sexuel de leurs maris à leurs égards. Pour Mocky que les sujets de société ont toujours inspiré, pour Bourvil qui voyait là un nouveau rôle à conquérir, ce thème allait leur permettre d’écrire et de réaliser L’Étalon, sorti en 1970.


Nous sommes alors en plein dans la Révolution sexuelle. Des progrès ont été faits, la femme (française) peut voter depuis 1944 et ouvrir un compte à son nom depuis 1965. Mais la citoyenne est aussi un être de chair et de sang, avec la loi Neuwirth de 1967 la contraception est autorisée, mais ne sera remboursée qu’en 1974, tandis que la loi sur l’IVG sera adoptée en 1975. Progressivement, il est reconnu aux femmes le droit de disposer de leur corps. Et parallèlement, les recherches sur le désir féminin avancent, bien que timidement.


Ces femmes qui sont le coeur du film de Jean-Pierre Mocky sont des femmes mariées, qui ne cherchent pas à obtenir un amant, mais aimeraient pouvoir exprimer leur désir et ainsi le satisfaire. Pour William Chaminade vétérinaire en vacance et confronté à une femme si désespérée qu’elle veut en finir, il faut agir. Puisque les hommes sont trop occupés à mener leur carrière, il faut proposer un système de palliatif. Tout doit être rigoureux, les amants doivent être en bonne condition, il ne faut pas s’amouracher. Il ne s’agit que d’un exutoire physique pour délivrer ces clientes de leurs frustrations. Convaincu du bienfondé de son action, notre brave vétérinaire veut convaincre les institutions. Mais les maris, eux, n’apprécient guère cette concurrence déloyale dans les affaires de leurs concubines.


Les hypocrisies sont nombreuses dans cette fable satirique de cette France des années 1970. William Chaminade a fort à faire pour organiser cette révolution, clandestine et un peu bricolée. Les femmes en profitent bien, malgré les exhortations de ce vétérinaire reconverti à rester raisonnable dans l’expression de leur désir, même si on ne dénombre aucun cas de sentiment amoureux avec ces étalons. D’ailleurs William Chaminade ne profite-t-il pas un peu de ce système, en demandant une faible somme qui serait un jour remboursée par la Sécurité sociale ? Il s’agit malgré tout de prostitution.


Mais les véritables victimes de cette satire, ce sont bien sur ces hommes. Jean-Pierre Mocky a raconté qu’à l’époque de sa sortie beaucoup de couples quittaient le film une fois que le mari avait compris qu’il serait le dindon de la farce, ce qui arrivait assez vite.


En effet, si le film tente de trouver une (faible) excuse dans le comportement asexué des maris, trop occupés l’année à faire tourner le ménage pour qu’ils puissent accomplir leur devoir conjugal, le métrage se déroule pendant ces vacances d’été où les contacts ne se font pas plus. Les femmes sont des « bobonnes » (un terme souvent utilisé), qui doivent suivre leur mari, écouter leurs discussions inintéressantes et s’occuper comme elles peuvent, le tricot étant ici un bon moyen de le faire alors que le temps ne s’y prête pas. Ces maris, on les découvre jouant aux boules, s’occupant de leur voiture ou sirotant un pastis, assurés de leur petite satisfaction personnelle.


Ils ne sont guère malins, et certainement pas à l’écoute des désirs de leurs femmes. Mais la principale peur est celle d’être cocu, d'avoir ce statut social à la vue de tous. Peu importe les déclarations de Chaminade qu’il ne s’agit pas de ça, mais bien de femmes qui aiment leurs maris mais veulent éprouver du désir. Toutes les excuses sont bonnes pour dissiper tout risque de cocufiage. La solidarité masculine se découvre alors dans le contrôle mutuel des femmes de tout le monde. Dommage, le film n’évoque pas l’existence des maitresses possibles, mais les mâles ici présentés sont certes tellement médiocres qu’on doute qu’ils puissent charmer d’autres femmes.


Petit farce à la Mocky, l’Etalon conserve les meilleurs attraits de ses meilleures productions, mais aussi ses défauts habituels. Le film a été tourné en 7 jours (ou 16 selon d’autres sources), ce qui aide à relativiser sur certaines scènes un peu grossières, quelques cadrages assez vilains et quelques apprentis comédiens visiblement trouvés dans le coin (très charmantes Pyrénées-orientales).


Il a d’ailleurs été fait avec une certaine tension, Bourvil étant alors malade d’un cancer, ce qui explique son crane rasé, ses gants et d’être aussi bien habillé malgré la chaleur supposée. Les assureurs rechignaient à couvrir le film à cause de son état de santé, tandis que toute l’équipe technique craignait une mauvaise surprise. Pour autant, même si on peut ressentir une certaine fatigue de l’acteur, avec quelques scènes où il semble un peu effacé, c’est malgré tout un certain plaisir de le retrouver. On retrouve un rôle assez similaire de celui de la Grande lessive (!), une personne influente de la vie civile (ici un vétérinaire) qui veut améliorer le quotidien de ses concitoyens. Le personnage est là encore un peu pincé, certes moins exalté mais toujours malicieux, usant de belles phrases et de grands arguments. Ce sera sa dernière collaboration avec Mocky, la mort le fauchant peu de temps après. D’autres acteurs fétiches du réalisateur se retrouvent dans le film, Francis Blanche, R.J. Chauffard ou Jean-Claude Rémoleux, assistant ou s’opposant au personnage de Chaminade, avec quelques belles prestations.


Avec une telle histoire de coucheries, de maris un peu bêtes et de femmes délaissées, l’Étalon aurait pu n’être qu’une comédie désolante à la française (ou même italienne) si nombreuse de ces années. Et le film en garde quelques traces, dans son exagération. Mais il a pour lui du sens, et sa satire vise et tire avec une grande précision. Ses gaucheries sont habituelles dans l’oeuvre de Mocky, il vaut mieux en retenir son énergie et son humour.

SimplySmackkk
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le 19 août 2020

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