Très vite je me suis perdu dans l'immeuble de Dan, le personnage principal de L'Etrange couleur. Je ne sais pas exactement à quel moment, sans doute avant la vingtième minute, lorsqu'un inspecteur de police arrive pour enquêter sur la disparition de la femme de Dan: gros plans et split-screens brutaux, tout est fait pour qu'on se perde, que le fil qui nous lie à l'histoire se relâche complètement.
Le film procède ensuite à quelque chose qui est presque de l'ordre de l'installation visuelle et sonore: il déploie ses motifs en les déconnectant de toute "histoire", il perfore les chairs de façon gratuite, au risque de tomber dans l'exercice de style. J'ai pourtant l'impression que le travail des réalisateurs va au-delà de cet exercice : il peut y avoir quelque chose d'agaçant et d'épuisant dans L'Etrange couleur, mais, pour peu qu'on se laisse surprendre par certains plans, comme celui de cet oeil horrible aperçu par la voisine de Dan à travers son plafond (le plus beau plan du film selon moi), on trouvera un autre fil, qui nous conduira à l'intérieur du regard d'un homme. Celui de Dan vaut pour tous les autres personnages masculins (l'inspecteur, le propriétaire de l'immeuble), qui sont visiblement des doubles de Dan. C'est donc le regard de Dan qui est hanté, comme celui de Bill Pullman dans la première partie de Lost Highway.
Cette référence dit à quel niveau veut se situer le film d'Hélène Cattet et Bruno Forzani; il n'est pas dit qu'ils se tiennent à cette hauteur-là, mais le chemin qu'ils ont tracé, depuis Amer, est beau, prometteur.