L'Étranger
6.4
L'Étranger

Film de François Ozon (2025)

L’Etranger, Meursault, ou la Mort et(est) le Soleil

Après la découverte de l’adaptation cinématographique de François Ozon cette semaine, je relis spontanément le roman d’Albert Camus paru en 1942, que j’avais lu dans mes années lycée. Le film entretient un lien inextinguible avec le roman, et peut évoquer, dans sa fidélité à l’œuvre littéraire, le Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson, sorti en 1951, adaptation fidèle de l’oeuvre de l’auteur Georges Bernanos. Le cinéma, d’une manière générale, est inconditionnellement impacté par la question de l’adaptation, et dans le cas de Ozon ou de Bresson, témoigne d’une mise en images scrupuleuse au service du roman. 

Ainsi ce qui est donné à lire par Camus est donné à voir et à entendre par Ozon, avec une appropriation dévouée, un découpage méticuleux du film s’articulant autour des deux parties du roman, l’avant meurtre, première heure du film  et l’après meurtre, deuxième heure. 

L’interprétation sidérante ( et glaçante tant il nous renvoie à notre condition humaine) de Benjamin Voisin qui incarne avec froideur Meursault, en fait un personnage proche du roman, voire identique : comment rendre à l’écran l’indifférence au monde ? Là où Camus se sert de ses mots pour exprimer l’attitude détachée, voire incomprise, du personnage qui le rendra peut-être insupportable aux yeux du spectateur, Ozon cherche à l’écran l’expression la plus fidèle de cette indifférence au monde, les multiples scènes entre Marie et lui où elle lui demande s’il l’aime sont l’illustration paradigmatique de son attitude et de sa posture absurde face à sa vie.  

Ozon prend le soin également de s’appuyer sur les éléments descriptifs et récurrents du texte pour placer ses actions : on retrouve les mêmes ambiances dans le film que celles du livre, notamment Marengo et « la salle très claire, blanchie à la chaux  » p13 du roman. 

Le recours au procédé technique et artistique du noir et blanc permet d’inscrire le (anti-)héros dans une atmosphère lumineuse singulière, la scène de la plage avant le meurtre où le personnage est écrasé par le soleil rendu à l’image par une forte surexposition qui peut même éblouir le spectateur : «  l’air enflammé », « la brulure du soleil », « le même soleil que le jour où j’avais enterré maman », « la lumière a giclé sur l’acier », extraits de la fin de la première partie du roman, ambiances lumineuses portées à l'écran par Ozon. Ce passage est rendu visible remarquablement par son chef opérateur Manuel Dacosse, fidèle directeur de la photographie du réalisateur. Meursault, hypnotisé, perdu, le regard hagard, et vide, ira jusqu’à dire à son procès que « c’est à cause du soleil »  qu’il aurait tiré au revolver. 

La force visuelle du film, pour moi, réside dans la capacité à montrer par l’image en noir et blanc, traitement magistral de la lumière, de cette atmosphère oppressante, dérangeante, de la lumière omniprésente, blafarde, à l’asile, à la plage, aux fenêtres du bureau, dans les rues, à l’exécution du condamné. On aurait presque l'impression parfois d'une pellicule brulée par la sur-exposition. Le soleil comme menace, suit notre personnage, Meursault, tout au long du roman et du film, car dès les premières images le jeune homme se rend sous un soleil de plomb à Marengo, ayant des difficultés à marcher dans cette lumière blanche qui le fatigue, jusqu’aux derniers plans du film, la mise en scène de la mort du personnage. 

A noter, enfin, la très originale bande-son et la musique électronique et répétitive de  Fatima Al Qadiri, qui intensifie la lourdeur du soleil et l’éblouissement que ressent Meursault. 

Marielaurevernet
7

Créée

le 2 nov. 2025

Critique lue 38 fois

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