le 17 oct. 2025
Un soleil de plomb
C'est un truisme que d'affirmer qu'adapter Camus est plus difficile que de puiser dans Simenon, au hasard. C'est qu'il n'est pas question de trahir l'esprit de l'auteur de L'Étranger, tout en...
Planche savonnée et tentatives infructueuses sont les trompettes qui annoncent ce nouvel opus de François Ozon, sans compter les nombreux lecteurs de l'oeuvre de Camus (l'une des plus lues de la littérature française). On peut ajouter la relative irrégularité des films du réalisateurs capable du meilleur (Sous le sable) au plus discutable (Eté 85 avec le même Benjamin Voisin).
Partir ainsi sur l’adaptation d’un récit aussi populaire a tout du pari risqué. L’éternelle question de la transposition du texte au médium cinématographique se repose d’autant plus que le roman de Camus s’il exalte les sens, n’est pas spécifiquement visuel. Bien plus tactile (le soleil brûle davantage qu’il n’aveugle), il en devient plus complexe à traduire en son et en images. Alors certes, le noir et blanc choisi permet de se situer très rapidement dans l’atmosphère d’une Alger crédible, mais n’aurait-on pas préféré voir les couleurs de ce passé revisité par le protagoniste quand il est en prison.
Autre choix discutable : cette histoire faussement construite sur deux temporalités distinctes, soit les journées précédant le meurtre et le séjour en prison suivi du procès. Il y avait matière à montrer que la conscience de Meursault se construit justement en détention, quand il n’a plus d’autre choix que de se tourner vers lui-même, son intériorité et qu’il découvre, stupéfait, la valeur de sa vie, la profondeur de la réalité à laquelle il appartient. Mais le film hésite dans sa première partie : quelques scènes de prison anodines interrompent l’inexorable marche du héros vers son destin.
Le centre du film, comme le titre l’indique, reste le mystère de son protagoniste. Meursault sera de toutes les scènes, centre gravitationnel conçu autour d’un vide abyssale. Visage sans aspérité, recevant sans broncher la brûlure du soleil et le sel de la sueur. Impassible dans la scène du meurtre. Hébété lors du procès. Passablement pathétique avec l’aumônier. Et pourtant, lisse au désespoir. Etranger, il ne l’est peut-être pas tant à lui-même qu’au spectateur qui attend la possibilité de s’y accrocher, de s’y intéresser. Peine perdue. Tous ces gros plans nous conduisent au néant.
Heureusement, l’on pourra se consoler avec les autres personnages, incroyablement attachants et d’une consistance d’autant plus réjouissante que celle du héros se dérobe. Mention particulière pour le personnage de Marie qui veut bien nous faire croire qu’il y a quelque chose d’aimable chez Meursault. La scène absente du roman ou la soeur de la victime et Marie échangent quelques mots permet de poser l’un des sujets cachés de l’oeuvre : l’étranger, c’est aussi la figure du pied noir.
Ozon peine à définir les contours de Meursault, alors il lui donne à raconter une histoire lue sur un morceau de journal. Cette tragédie moderne, c’est Le malentendu, pièce écrite par Camus dans son cycle de l’Absurde (avec Caligula, le Mythe de Sisyphe et l’Etranger), où une mère et sa fille tuent par erreur et par avidité le fils/frère revenu riche au pays sous anonymat. Moralité : il ne faut pas mentir. Autrement dit, la société ne sait que faire des hommes qui ne jouent pas son jeu (comédie sociale).
Il faut évoquer LA scène que le lecteur attend, celle du meurtre de l’Arabe. Concédons d’entrée qu’Ozon a essayé de créer le vertige existentiel que ressent Meursault, son incompréhension, sa faiblesse, et sa dimension tragique. Il a d’ailleurs recours aux mots de l’écrivain : « J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors, j'ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur » mais le jeu sur le flou et la surexposition ne suffisent pas.
Enfin, et c’est peut-être la qualité de l’Etranger version Ozon, Meursault et l’Arabe tué sont présentées comme deux victimes de la société. A la curiosité malsaine du meurtrier s’ajoute l’indifférence du mort dont on apprendra le nom sur sa tombe. Le spectateur restera longtemps à accompagner la solitude des deux femmes à l’issue des plaidoiries.
On laissera le mot de la fin au groupe Cure, et son titre anachronique Killing an Arab qui accompagne le générique de fin.
Ni totalement raté, ni vraiment réussi, le film aura le mérite de souligner la difficulté d'adapter au cinéma des oeuvres littéraires au style si particulier et aux niveaux de lectures complexes.
Créée
le 31 oct. 2025
Critique lue 86 fois
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