Le fait que "l'événement" ait reçu cette année la plus haute récompense de la Mostra de Venise n'est en rien anecdotique. Les antiféministes et réactionnaires, nostalgiques d'une époque où les femmes restaient "à leur place", ont pu râler devant la représentation crue de ce qu'est une société qui refuse à la moitié de ses membres les libertés les plus élémentaires : non, on n'est pas dans la Roumanie pas encore dégagée du joug communiste, comme dans "4 mois, 3 semaines et 2 jours", mais bel et bien dans la France pas si glorieuse des années 60-70. Et ceux qui rabâchent avec suffisance leur mépris d'un cinéma d'auteur qu'ils aimeraient voir disparaître ou rentrer dans le moule du marketing global triomphant, n'apprécieront pas une seconde récompense "mondiale" décernée cette année à une jeune réalisatrice française (qui plus est de préférence aux sacro-saints "auteurs" désormais sacralisés...).


Mais ce qui nous importe vraiment, ce sont les sensations, les émotions que "l'événement" nous fera ressentir à partir de la représentation "brute" de la trajectoire obstinée d'une toute jeune femme refusant la fatalité d'une vie foutue à cause d'une grossesse non désirée. Et déterminée à échapper aux diktat d'un environnement qui, tout simplement, ne lui permet pas d'être et d'agir comme un être humain. Bravant la loi (l'avortement est interdit et sévèrement puni), mais aussi le regard, puis le rejet, de tous ceux qui l'entourent, condamnée par les mâles mais aussi abandonnée par ses amies, elle va lutter pour sa vie, pour sa raison, pour son avenir.


Filmée au plus prêt comme le faisaient jadis les Dardenne, enfermée dans un cadre carré, Anne (Anamaria Vartolomei, impressionnante de détermination) est une héroïne moderne au sein d'un pur thriller ordinaire. Le travail d'Audrey Diwan, qui refuse tout effet sensationnaliste, toute scène émotionnelle, tout militantisme systématique, est remarquable de justesse et de rigueur. Bien sûr, "l'évènement" est dur, choquant parfois - les réalités physiques d'un avortement clandestin sont montrées sans complaisance mais sans fausse pudeur -, mais ce qui scandalise le plus, c'est de réaliser que, partout à travers le monde, dans des pays qui se prétendent démocratiques, les hommes veulent revenir sur cette liberté essentielle : la fin de "l'évènement", tiré de l'histoire personnelle de l'écrivaine Annie Ernaux, montre sans ambages que, quel que soit le prix à payer pour cette liberté, il n'y a d'accomplissement individuel possible qu'une fois qu'on s'est affranchie des règles de la phallocratie et du conformisme réactionnaire.


[Critique écrite en 2021]

EricDebarnot
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le 11 déc. 2021

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Eric BBYoda

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