Cinéaste souvent en prise avec son temps et avec la modernité (Demon Lover, Personal Shopper), Olivier Assayas se penche ici sur la question de la transmission. Celle-ci avait déjà été évoquée dans Les destinées sentimentales (la transmission industrielle) et dans Irma Vep (celle du cinéma lui-même) ; ici cette question de la transmission se place conjointement sur deux niveaux, personnel et patrimonial. Chez les Marly, descendants de Paul Berthier, peintre célèbre, les deux se confondent : la vie familiale, symbolisée par la vieille maison de famille (anciennement celle du peintre), a toujours mêlée objet de la vie de tous les jours et objets d'art (et pour cause, dans cette maison-musée, il y a des tableaux de Jean-Baptiste Corot, des panneaux d’Odilon Redon, des meubles de Louis Majorelle et de Josef Hoffmann), ce sont les mêmes. Ce lieu où ils habitent, et une partie de leur vie qui va avec, est d'ores et déjà un lieu d'histoire, de ce dont les photos ornent les ouvrages d'art (c'est le cas de la table du jardin, cela là-même où ils déjeunent et que l'on retrouve dans un livre américain°


Dans un film parfaitement structuré, la première partie met en place les enjeux : celle-ci s'ouvre sur les enfants (la dernière génération) qui jouent, filmés en extérieur, en plein jour et dans le mouvement ; elle se termine sur leur grand-mère (Edith Scob), celle qui a préservé la mémoire des lieux et du peintre - son oncle et accessoirement son ancien amant (le secret de famille va bientôt être révélé) - filmée, elle, par opposition, en plan fixe, en intérieur, dans une pénombre qui finit en fondu au noir. Entre les deux générations, il y a deux frères et une soeur, ceux qui vont devoir choisir : leur mère va mourir, faudra-t-il préserver la collection ? ou la vendre, maison comprise ?


Les parties suivantes de L'Heure d'été vont montrer successivement la prise de décision de la fratrie (tout sera vendu), l'estimation du patrimoine, la vie après la vente. Toutes ses parties vont faire un rapport au temps et à l'espace différent chez chacun des descendants : si pour Frédéric, économiste rappelant Bernard Maris (Charles Berling), la préservation de la mémoire dans le but de la transmettre est essentielle, il n'en va pas de même pour sa soeur Adrienne (Juliette Binoche) et Jérémie (Jérémie Renier), la première vit aux Etats-Unis et le second en Chine dans une vision totalement tournée vers le présent et le futur. Si la vente fait ressortir cette différence d'espace-temps, le film ne tombe pas dans la caricature d'une violente déflagration familiale, l'Heure d'été est plus nuancé, plus subtil et plus doux que cela, à l'image de cette maison et de son jardin, sorte d'havre de paix, préservé du tumulte et du monde moderne.


Assayas entame ici une réflexion sur l'objet d'art, sur sa fonction qui en fait un objet usuel, avant de devenir une oeuvre d'art. Le rôle d'un vase n'est-il pas plus d'accueillir des fleurs plutôt que de finir dans un musée (ici Orsay) où il sera vu par des touristes pendus à leur téléphone. Frédéric donne un vase prestigieux car dessiné par un artiste à Eloïse, la fidèle cuisinière depuis des décennies, sans qu'elle en connaisse la valeur, juste pour continuer à fleurir sa maison en souvenir de son ancienne maitresse. Dans un sentiment proche de la chanson de Barbara, Drouot, tous ces objets sont des éléments de leur passé et de leur vie ; non sans émotion, ils les voient partir et devenir des biens communs, des oeuvres d'art qui appartiennent à tout le monde.


L'heure d'été se termine comme il avait commencé, par la jeunesse : une bande d'ados (dont Sylvie, la fille de Frédéric) investissent la maison, vidée de tous ses objets et son mobilier, le temps d'un week-end avant que la propriété ne soit vendue. La caméra se fait plus mobile, les jeunes s'approprient le lieu et lui donne une nouvelle fonction - celle d'un instant présent et éphémère. Là, pourtant, Sylvie, jeune fille de son temps, prend conscience elle-même qu'une partie de sa vie va disparaître, de souvenirs qui vont s'effacer car elle ne pourra plus revenir sur les lieux même où cela s'est passé. Qu'on le veuille ou non, on n'échappe pas à la mémoire.


PS : comme souvent chez Assayas, louons ici sa grande qualité de directeur d'acteurs et la qualité de sa photo (avec comme chef op' Eric Gauthier).

denizor
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le 17 janv. 2018

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