Voilà un Woody Allen qui retourne !
Dans la lignée de Scoop, comme un croisement entre La Corde et L'Ombre d'un doute, L'Homme irrationnel est de la trempe des meilleurs Hitchcock.
A la fois whodunit et thriller philosophique, le film fait entendre en alternance les pensées du tueur et d'une jeune femme éprise de lui et qui mène l'enquête. Et pourtant, point de policiers; on ne les évoque qu'à travers leurs déclarations dans les journaux. Seul un meurtre commis par philosophie comme dans La Corde et un jeu du chat et de la souris, entre confiance et méfiance à l'instar de Soupçons et surtout de L'Ombre d'un doute.
Dans le rôle des deux Charlie, un professeur de philosophie bien plus désabusé que celui de James Stewart et sa jeune étudiante et groupie. Pour les camper, un Joaquin Phoénix habité, meilleur qu'à son ordinaire, et une Emma Stone pleine de fraîcheur et d'une réelle authenticité.
Au service du récit, un tissu intelligent de références philosophiques (de Kant à Kierkegaard en passant par Arendt), littéraires (les romans policiers, l'oeuvre de Dostoïevski), artistiques (l'anamorphose) et cinématographiques (suspens et humour noir hitchcockien, pensées off psychotiques à la Jeff Bridges dans La Disparue) diverses, une belle réflexion sur le Bien et le Mal qui s'achève certes un peu en queue de poisson - morale bourgeoise oblige ? - et une lampe de poche qui restera dans les mémoires comme parfait ascenseur vers l'échafaud.
Et une toile de fond musical, qui souligne plus le paradoxe de l'homme qui retrouve goût à la vie en tuant, du super-anti-héros, qu'une paranoïa hors de saison, un ensemble de belles partitions signées par les plus grands du jazz et de la musique classique.
Un excellent polar philosophique, une pépite qu'il faut avoir vue.