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L'Homme irrationnel bénéficie et en même temps souffre de tous les tics propres au cinéma de Woody Allen. Visuellement c'est une grande réussite, c'est superbement filmé, les acteurs jouent à merveille, la musique, surtout jazz et classique, accompagne avantageusement le film.
Mais d'un autre côté, l'histoire autant que les acteurs manquent de crédibilité et de réalisme, il y a quelque chose d'un peu plaqué, gratuit et artificiel. On a donc du mal autant à s'attacher aux personnages, à entrer en empathie avec eux, qu'à adhérer à l'histoire. C'est un cinéma qui est plutôt fait pour nous éblouir que pour nous faire vivre des émotions, nous transporter.
Déjà, l'acteur principal n'est pas crédible en prof de philo, il y a quelque chose qui cloche. De plus, sa personnalité est trop monolithique, il est unilatéralement nihiliste et cynique, jusqu'à la caricature. De même, son revirement ne convainc pas non plus, puisque d'un seul coup il devient quelqu'un d'autre.
Quant à la jeune dinde qui s'entiche de lui, là non plus, ça ne colle pas. On les voit d'un seul coup passer beaucoup de temps ensemble, sans raison particulière, et il se confie à elle sur des choses très intimes, alors qu'il est connu pour être très secret. Mais surtout, ses sentiments pour lui naissent de manière très artificielle, on n'y croit pas, on ne la voit pas tomber amoureuse, ça reste à la surface, purement théorique. Un peu, d'ailleurs, comme la tendance que dénonce le prof en question, qui invite à quitter les bouquins et agir dans la vraie vie...
Quant à l'histoire, j'en ai déjà un peu parlé, mais j'ajoute qu'on dirait que le prof, après avoir commis son meurtre, fait tout pour multiplier les signes et indices de sa culpabilité, comme si inconsciemment il avait envie d'être arrêté... Pourtant, il a repris goût à la vie précisément grâce à ce meurtre, qu'il assume pleinement, le jugeant juste et légitime, et il n'a aucune intention de se laisser prendre. Donc là encore, ça ne colle pas. Ou alors il agit vraiment en amateur complet et vraiment idiot, mais il est pourtant censé être brillant...
On retrouve aussi les mêmes obsessions de Woody Allen. Déjà, son goût immodéré pour la bourgeoisie, plus précisément la haute bourgeoisie, et une bourgeoisie intellectuelle et cultivée, pas la vulgaire bourgeoisie d'affaires. Ainsi, le prof nouvellement arrivé se voit doter d'une maison sur le campus, sans doute pour le dépanner en attendant de trouver mieux, maison qui est annoncée comme petite. Or, il s'agit d'une grande et belle demeure, qui suffirait à quatre personnes, et est pleine de charme, assez luxueuse et aménagée et meublée avec goût... De même, la jeune étudiante mène un mode de vie entre cours de piano classique et équitation, deux des principaux loisirs et signes distinctifs, marqueurs sociaux, de cette bourgeoisie traditionnelle.
Egalement, la vision de la vie de Woody Allen apparaît ici encore plus clairement que dans d'autres films. Il semble en effet que pour lui le hasard et la chance gouvernent nos existences. L'homme n'a que peu de libre arbitre, il est balloté par le destin. Un destin parfois cruel, parfois coasse, qui peut faire radicalement basculer une vie d'un instant à l'autre.
C'est d'autant plus clair qu'on voit notre beau ténébreux jouer à la roulette russe avec un pistolet à une soirée devant des étudiants médusés, et plus tard il joue à la roue de la fortune dans une fête foraine et gagne une peluche pour sa dulcinée. Il affirme, dans les deux cas, que la chance lui sourit. C'est pourtant ce même hasard qui va lui faire perdre pied (c'est le cas de le dire...) à la fin du film...
On voit aussi apparaître en filigranes une sorte de morale. Le prof se met en tête de tuer un juge qui selon lui est inique et inhumain. Il est persuadé d'agir en sauveur, tel le Dieu vengeur de l'Ancien testament. Il veut donc infléchir sur le destin d'autrui, de manière négative pour ce qui concerne le juge, et de manière positive pour ses justiciables. Mais également, son destin à lui, puisqu'il est persuadé que c'est le déclic qu'il lui faut pour sortir de sa morosité, de son dégoût de la vie, et de sa passivité. Ce qui va être le cas, du moins à court terme, car ça va en fait le mener à sa perte...

Spellbound
6
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le 13 juin 2019

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Spellbound

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