Ayant grandi dans les milieux modestes de Madras, dans l’Inde coloniale du début du XXe siècle, Srinivasa Ramanujan (Dev Patel) n’a reçu aucune éducation digne de ce nom. C’est seul qu’il découvrit les mathématiques, et seul qu’il élabora des formules encore jamais découvertes par qui que ce soit. Poussé par son patron, il écrit une lettre à Godfrey Hardy (Jeremy Irons, éblouissant), éminent mathématicien du Trinity College. Impressionné par ces formules, Hardy fait venir Ramanujan en Angleterre, afin de lui permettre de continuer ses recherches et de les publier. Mais si Ramanujan émet formules sur formules, il n’en rédige aucune démonstration, au grand dam de Hardy. Pendant ce temps, les collègues anglais de Hardy comme ceux de Ramanujan voient d’un mauvais œil cet Indien qui se prend pour un grand mathématicien, et qui croit voir dans les équations la manifestation de Dieu...


Il exista tant de génies en ce bas monde qu’il serait impossible de faire un film sur chacun d’eux. Film sorti directement en vidéo (mais vu pour ma part en Cinexpérience, grâce à Cinémangageek), L’Homme qui défiait l’infini fait le pari difficile d’intéresser son public au monde des mathématiques, à travers la biographie de l’un d’entre eux, le génial mathématicien Ramanujan.
Certes, comme dans chaque film biographique, il est difficile de faire la part des choses entre ce qui est réel et ce qui est romancé, mais le récit se suit pourtant avec une facilité déconcertante pour une histoire de mathématiques. Il faut dire que le casting exceptionnel réuni par Matt Brown parvient sans peine à faire ressentir le côté profondément humain de son récit, et à valoriser des enjeux pourtant peu évidents au premier abord. Si la mise en scène est bien trop conventionnelle, dénuée de toute originalité et le scénario cousu de fil blanc, notamment dans sa description déjà vue une centaine de fois au moins du choc des cultures entre le pauvre Indien exclu et les Anglais intolérants (pas tous, heureusement), les thèmes abordés sont néanmoins d’une richesse inépuisable, à commencer par l’opposition entre l’intuition et la démonstration, Hardy prônant une rigueur qui passe inévitablement par la démonstration là où Ramanujan n’y voit qu’une perte de temps, à partir du moment où la formule qu’il émet s’avère juste.
L’évolution de chacun des deux personnages est montrée avec une infinie justesse et une finesse toute britannique, Hardy apprenant au moins autant de Ramanujan que ce dernier apprend de Hardy, l’un et l’autre devant commencer par mettre leur ego de côté. Car si Ramanujan apprend de Hardy la rigueur qui manque à sa formation intellectuelle - élément ô combien important dans le domaine des mathématiques ! -, Hardy apprend, outre l’humilité, que son rôle de mathématicien et d’athée ne lui permet en aucun cas de remettre en cause la foi de chacun et encore l'existence d'un Dieu. Le contact de Littlehood (extraordinaire Toby Jones) et de Ramanujan lui permet en effet, non pas d’affirmer comme eux que le but et la raison des mathématiques sont l’un comme l’autre Dieu lui-même, de concevoir l’idée selon laquelle la science n’est pas incompatible avec la foi.
Grâce aux compositions proprement exceptionnelles de tous les acteurs, on finit donc par s’attacher irrémédiablement à ces personnes qui voient dans les chiffres et les formules mathématiques un univers infini permettant d’expliquer en partie notre univers fini, mais aussi de nous mener au contact d’un autre univers, encore plus infini si cela est possible, qui ne peut se voir que d’une manière : en renonçant à tous nos préjugés rationalistes et en acceptant pleinement l’irrationnel…
Une leçon pleine d’intelligence et d’humilité que transmet Hardy dans son impressionnant monologue face aux mathématiciens de la Royal Academy :


« [Ramanujan] m'a dit un jour qu'une équation de valeur pour lui que dans le cas où elle traduisait l'intention de Dieu. Et bien... Même si mon être tout entier s'oppose à cette idée, il a peut-être raison. Car n'est-ce pas là notre justification ? Pour soutenir l'existence même des mathématiques ? Nous ne somme que des explorateurs de l'infini à la recherche de la perfection absolue. Nous n'inventons pas ces formules, elles existent déjà. Et elles attendent patiemment que les esprits les plus brillants comme Ramanujan pressentent leur existence, et les démontrent. Donc, finalement, une seule question s'impose : de quel droit doutons-nous de Ramanujan... et de l’existence de Dieu ? »

Tonto
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le 1 mars 2017

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Tonto

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