Dans l’imaginaire collectif, le déplacement du cowboy vers une figure du justicier, ancêtre du flic contemporain, est unanimement accepté. Le western est un retour aux sources de la civilisation, l’établissement d’une morale sur des terres vierges dans lesquelles la loi du plus fort aurait tendance à spontanément s’imposer.


C’est oublier la fonction première et étymologique du cowboy, à savoir un vacher. Dans l’homme qui n’a pas d’étoile, - titre d’autant plus trompeur que l’étoile en question n’a rien à voir avec celle du shérif – King Vidor aborde pleinement cette question du monde qu’on pourrait qualifier de paysan.


La question de la colonisation de l’espace est déjà réglée : les exploitants font paître leur bétail, et les antagonismes n’ont plus rien à voir avec la sauvagerie d’un territoire hostile, mais bien davantage avec celle du capitalisme naissant. Le personnage de Kirk Douglas est ainsi la figure classique du lonesome cowboy, qui n’a pas d’étoile précise pour le guider dans le ciel, et jouit avant tout des grands espaces. La figure honnie prend donc la forme du barbelé : cette découpe qui contraint la cavalcade et souille une terre sur laquelle on pourrait vivre collectivement, et en harmonie.


Si le film n’est pas toujours optimal dans ses portraits secondaires (le jeune à initier, la propriétaire terrienne un peu lisse en dépit de sa vénalité) et ses scènes comiques, les questions qu’il soulève sur le plan économique et social sont pertinentes. Ainsi du jeu de séduction entre le protagoniste et la patronne, qui joue d’abord d’une symbolique financière (il lui explique que ce qu’il veut comme salaire pour être à son service, c’est elle) avant de gagner en gravité devant les enjeux moraux d’une telle expansion. Il en va de même avec le renversement des perspectives : fustigeant d’abord ceux qui clôturent leurs terres, le héros finit par comprendre leur position face à la violence de l’élevage intensif. De ce fait, la position de son jeune disciple met l’Amérique au carrefour de son histoire : quel parti prendre : celui des puissants qui règnent par la force, ou des familles en passe de perdre la bataille ?


Peu d’étoiles, en effet, dans le ciel noir du capitalisme : King Vidor a beau permettre à son personnage une chevauchée finale libre, elle n’en est pas moins mélancolique, et profondément inquiète sur l’avenir du pays.

Sergent_Pepper
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le 27 janv. 2018

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Sergent_Pepper

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