Un film pour tomber amoureux



Le plus appréciable chez Ford, c'est que l'on y trouve de tout : on a des films qui nous fascinent, qui nous touchent ou nous amusent, voire même qui nous irritent ; on trouve de sublimes chefs-d’œuvre que l'on ne peut qu'applaudir ou de simples curiosités qui comportent toujours leur lot d'émotions... et puis, il y en d'autre, que l'on sait terriblement imparfait mais que l'on ne peut s'empêcher d'aimer, tendrement et passionnément. Eh bien, The Quiet Man est de ceux-là ; c'est un film rare, touché par la grâce, qui nous fait sentir bigrement bien et qui donne irrémédiablement envie de tomber amoureux. On voit bien qu'il n'est pas un modèle de perfection et de beauté mais qu'importe, on lui pardonne tout ! L'amour rend aveugle paraît-il, moi il m'a fait rendre ce film plus beau et plus resplendissant.




Une histoire de John Ford



Avant toute chose, il faut signaler que The Quiet Man est moins un film sur l'Irlande qu'un film sur John Ford lui-même ! Ce n'est pas un film "réaliste" mais plutôt une déclaration d'amour à un pays, à un peuple et à une culture. The Quiet Man, c'est une pluie de clichés, c'est une avalanche de stéréotypes qui peuvent révulser si on ne prend pas ce film sous le bon angle ! The Quiet Man, c'est une histoire d'amour, digne d'un conte de fées, entre un homme et la terre de ses ancêtres ; c'est la réunion enfin parfaitement assumée entre John Ford, le chantre du western, et John Martin Feeney, le fils d'immigrants Irlandais. C'est un film somme en quelque sorte, qui reprend aussi bien les convictions profondes de l'homme que son univers cinématographique.



Un rêve irlandais.


26 ans après The Shamrock Handicap, John Ford s’intéresse une nouvelle fois à la terre de ses aïeux et décide, ô grande surprise, de réaliser une véritable histoire d'amour. L'amour fort, violent, tumultueux, qui existe dans le cœur du cinéaste pour ses deux pays, va être porté à l'écran par le couple John Wayne/ Maureen O’Hara. Wayne, on le sait, c'est le double du cinéaste : c'est l'incarnation de son idéal américain, un homme indépendant, fort, viril, un peu macho, mais porteur de vraies valeurs humanistes. Quant à O’Hara, elle va représenter cette Irlande, belle et "sauvage", que le cinéaste rêve de toutes ses forces. Avec The Quiet Man, Ford réussit donc le tour de force de nous "conter" une histoire d'amour "réaliste", dans un univers rêvé et fantasmé.



Cette impression est clairement affichée à l'écran dès les premiers instants du métrage : à peine a-t-il mit un pied en Irlande, que Sean Thornton (Wayne) se retrouve dans la peau d'Alice au pays des merveilles. Il quitte la gare, passe en dessous d'un pont et le voilà soudainement projeté de l'autre côté du miroir, dans un pays fantastique composé d'une immense campagne reposante et peuplé de personnages aussi pittoresques que sympathiques. Le visuel ne ment pas, le technicolor permet l'exaltation des couleurs, le vert de la nature envahit l'écran et met en valeur la rousseur incandescente de l'être aimé. L'histoire d'amour entre les deux personnages principaux va être joliment soulignée par le cadre naturel : c'est le vent de la passion qui souffle sur nos tourtereaux lorsqu'ils s'embrassent, c'est la pluie qui laisse entrevoir une délicate sensualité lorsqu'ils s'enlacent...



Un humaniste parmi les hommes.


Cet univers fabuleux, ce conte de fées, va également porter la représentation fordienne du monde et de la vie. Pour lui, rien ne compte plus que les valeurs humanistes, l'amitié, la famille, l'attachement à la terre et aux racines. Ainsi, l'union entre les personnages de Wayne et d' O’Hara, permet la réunion entre l'esprit libertaire américain et les vieilles traditions irlandaises. Celles-ci semblent désuètes, c'est vrai, notamment avec cette vision de la femme au foyer et de l'homme qui affiche sa virilité par ses poings. Mais ce qui compte pour Ford, ce sont les valeurs humaines, ce sont elles qui permettent d'unir les hommes et de faire fi des différences. Lorsque Wayne finit par se soumettre aux traditions et accepte de se battre, il faut y voir une preuve flagrante de son amour pour O’Hara !



Sa vision humaniste du monde, Ford nous la livre avec beaucoup d'humour en entraînant son film sur les chemins de la farce burlesque et joyeuse : les personnages savoureux ne manquent pas, que ce soit le cocher amateur de whisky ou le narrateur qui perd le fil de l'histoire pour aller à la pêche, ils sont tous croqués à l'écran avec générosité et bienveillance. De même, les moments savoureux sont légion et le plus fameux restant la fameuse bagarre finale, qui symbolise à elle seule le monde selon le cinéaste : des épreuves à traverser, des émotions à ressentir, des sentiments humains à esquisser... mais on y voit principalement tout le peuple fordien qui se retrouvent uni, formant une immense famille où l'on finit par rire et trinquer ensemble. Il n'existe pas de perdant lorsque l'humanisme triomphe ; c'est tout simplement ça le cinéma de John Ford !

Procol-Harum
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le 29 août 2023

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