Œuvre à part dans la filmographie de Ford, L’homme tranquille est l’un de ses films les plus personnels, qu’il a tenté de monter pendant 15 ans et qu’il a pu faire grâce à Rio Grande, film de commande dont le succès fut la garantie.
La singularité du projet tient dans sa localisation, l’Irlande des ancêtres du cinéaste, et dans la volonté de raconter une histoire d’amour qui, pour une fois, ne serait pas un greffon sur une intrigue principale de cavalerie ou de western.
Tourné en extérieurs et en dispendieux technicolor à la demande du réalisateur, l’Irlande est ici le personnage principal : verte et grasse, elle irradie les plans et offre une chatoyante complémentarité à la chevelure rousse de Maureen O’hara ou l’ocre de Monument Valley des films précédents.
Ford est ici en famille. Le curé prend en charge la voix off pour cette histoire d’un retour au pays natal qui va permettre de revisiter la stature de John Wayne. Déraciné, le yankee devient l’étranger en quête d’assimilation à la petite communauté rurale irlandaise. Observateur, il prend la mesure du poids de la tradition : la possession des terres, et surtout les fiançailles avec la volcanique Mary Kate occasionnent arrangements, obstacles et accommodements.
Tout entier consacré à la communauté, Ford s’en donne à cœur joie : l’alcool, comme toujours, coule à flots, et les chants irlandais ponctuent la vie mouvementée d’un village de passionnés.
Les amours contrariées de Wayne et O’hara se fondent sur le modèle des amitiés masculines déjà présents dans les films précédents, qu’on songe à Fonda et Mature dans La poursuite infernale, Wayne et Steward dans Liberty Valance ou Wayne et McLaglen dans La Charge héroïque : on se frappe autant qu’on s’embrasse. Fière et rebelle, la jeune épouse exige qu’on ne déroge pas à la tradition, quand l’américain lui en collerait bien une ou deux histoire de lui faire comprendre sa manière de voir les choses.
C’est donc avec logique que le film s’achemine vers une réconciliation, une concorde locale qui se fera par les poings lors d’un combat homérique prenant toute la campagne pour décor : ruisseaux, meules de foin, bar, c’est dans un burlesque bouffon et jubilatoire que s’achève ce film haut en couleur et décomplexé. Sans remise en question d’une tradition pour le moins étouffante, il montre la possibilité de s’y épanouir pour peu qu’on accepte de communiquer avec l’autre, que ce soit par une main serrée ou une torgnole.
(7,5/10)

http://www.senscritique.com/liste/Cycle_John_Ford/569939
Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Comédie, Social, Religion, Famille et Vus en 2014

Créée

le 5 sept. 2014

Critique lue 1.6K fois

41 j'aime

4 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

41
4

D'autres avis sur L'Homme tranquille

L'Homme tranquille
Sergent_Pepper
8

Une main tendue…dans ta face.

Œuvre à part dans la filmographie de Ford, L’homme tranquille est l’un de ses films les plus personnels, qu’il a tenté de monter pendant 15 ans et qu’il a pu faire grâce à Rio Grande, film de...

le 5 sept. 2014

41 j'aime

4

L'Homme tranquille
Docteur_Jivago
8

L'amour pour ses racines

"C'est ma première tentative d'histoire d'amour. Je voulais tourner une histoire d'amour entre adultes" C'est en 1952 que sort "The Quiet Man" où John Ford nous narre l'histoire de Sean Thornton, un...

le 24 déc. 2014

29 j'aime

7

L'Homme tranquille
Grimault_
8

« Et je me suis couché sous l'arbre ; c'était les mêmes odeurs... »

L’Homme tranquille est une œuvre de la maturité pour John Ford. Après avoir mis en scène de grandes fresques historiques et chevauché à travers tous les genres du cinéma, le réalisateur irlandais...

le 8 mai 2018

27 j'aime

4

Du même critique

Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster chapitre 13

Siège d’UGC. Vaste table en acajou, bol de saucisson et pinard dans des verres en plastique. - Bon, vous savez tous pourquoi on est là. Il s’agit d’écrire le prochain N°1 du box-office. Nathan, ta...

le 26 déc. 2014

786 j'aime

83

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

736 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

631 j'aime

53