L'Idiot
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L'Idiot

Film de Akira Kurosawa (1951)

Un drame de 3h00 (qui devait faire 4h30), une adaptation d'un roman de Dostoievski, et un montage charcuté, faites le calcul, le résultat peut être sérieusement ennuyeux. Cependant, malgré un ensemble dont l'équilibre instable bascule parfois vers le mélodrame pathétique, le personnage principal apporte un charme certain à l'histoire. Héros idéal de Kurosawa, il incarne la bonté qui représente une certaine folie dans le regard des autres, habitués à des confrontations plutôt cruelles et pragmatiques derrière le vernis des relations humaines. Le choix pour ce roman n'est donc pas un hasard, tant cette candeur produite par un excès de violence (d'extrême justesse l'idiot a évité la peine de mort durant la guerre) représente tout l'idéal du cinéaste, contrarié par la dureté de la réalité mondaine.


Cette oeuvre est ainsi un véritable trait d'union dans la carrière de Akira Kurosawa, annonçant des histoires à la morale plus complexe, telles que Vivre ou Les 7 samouraïs. Dommage qu'il soit désormais impossible de la découvrir en entier, tant elle possède des qualités indéniables en dépit d'une histoire pourtant classique portant sur le chassé-croisé amoureux basé sur les motifs d'intérêt ou de sincérité. Mais la plupart des personnages sont intéressants à suivre, essentiellement l'idiot, qui voit clair à travers les apparences, et fait ainsi tourner la tête de deux femmes, mais reste volontairement dans le flou concernant ses sentiments, afin de ne blesser aucune d'entre-elles. Or, son franc-parler et son non-engagement au sein de ce monde vont paradoxalement creuser sa tombe, confondant fatalement vérité (qu'il voit chez les autres) et bonté (qu'il préfère se refuser plutôt que de faire du mal à aucun d'entre-eux). Ensuite, il y a suffisamment de charisme chez les deux prétendantes pour nous conduire jusqu'à la fin, incarnant une beauté opposée et jalouses l'une de l'autre pour ce qu'elles représentent. Et enfin il y a le personnage de Toshiro Mifune, capable lui aussi de passer aisément de l'ombre à la lumière et vice-versa, l'un des adversaires de coeur de l'idiot, totalement différent de ce dernier mais lui aussi captivé par sa bonté éclatante.


L'atmosphère du film y est aussi pour quelque chose, bien que la musique épouse un peu trop la fibre sentimentale lorsqu'elle sort les violons, en nous plongeant dans le Japon hivernal d'après-guerre, cadre idéal, car reflétant tour à tour la bonté sans aspérités (ou sans qualités) de l'idiot, légère, naïve et immaculée, ou au contraire la dureté des jeux amoureux. Le rythme du film est très correct en dépit de quelques longueurs, et surtout d'une seconde partie où l'on sent les nombreuses coupes qui empêchent de comprendre complètement la relation entre l'idiot et sa seconde prétendante (les scènes s'enchaînement violemment, passant de l'amour idyllique à la haine). Enfin l'essentiel émerge durant le dénouement, appliquant une conversion du regard entre l'idiot et ses détracteurs, et faisant ressortir toute l'absurdité et l'ambiguïté morale de la situation.


Bref, en dépit d'une histoire charcutée et chargée de bons sentiments, ce film captive par son personnage principal et la destinée qui se dessine autour de lui, héros idéal du cinéaste plein de bonté qui s'attire le mal, en se refusant le bien qu'il voit chez les autres.

Arnaud_Mercadie
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le 26 avr. 2017

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Dun

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