Honte à moi ! Je n'ai jamais lu Dostoïevski. Bien que je persiste à penser qu'une adaptation doit fonctionner sans son support original, j'ai bien ressenti qu'il manquait plus qu'un chaînon manquant pour embrasser toute la portée psychologique du film. D'ailleurs, ce ne fut pas une surprise lors que j'ai appris que le film a été fortement raccourci, car jugé trop long à l'époque. Le passage des 4h30 au 2h46 rend son démarrage assez laborieux; et les multiples intertitres révélant le contexte initial ne changent pas vraiment la chose.
"Dostoïvski voulut dépeindre un homme d'une profonde bonté. Par ironie, de son héros il fit un idiot. Or un homme très bon est souvent pris pour un idiot. Ceci est le récit de la fin tragique d'une âme pure." - Intertitre
Le film suit donc le retour du soldat Kameda qui souffre d'une démence depuis un événement traumatisant vécu durant la guerre : l'idiotie. Il éprouve une compassion débordante pour tout le monde. Il agit sans filtre ni aucune arrière-pensée et tient constamment un discours de vérité. Un comportement perçu comme fascinant et étrange par ses pairs. Souvent moqué, parfois craint et rarement admiré, Kameda va se frotter à un monde très éloigné de ses valeurs. C'est uniquement armé de son regard pénétrant et éloquent qu'il va parvenir à ébranler quelques personnes sur son sillon, non sans en être lui-même affecté... Une thématique qui n'est pas sans rappeler celle de Rashōmon , le précédent film de Kurosawa, qui mettait également en exergue une bonne partie des vices de l'espèce humaine.
Masayuki Mori délivre ici une prestation pleine de subtilité. Il parvient très vite à rendre Kameda très attachant. De même pour Setsuko Hara et Mifune qui composent tous parfaitement avec toute l'ambiguïté de leur rôle.
Le film est très verbeux et pourtant, les passages les plus marquants restent les échanges de regards très expressifs. La dernière partie, l'apothéose de l'inexorable tragédie collective, est d'ailleurs superbement desservie par l'ingéniosité de la mise en scène de Kurosawa.
Si la construction du film amoindrit sa portée universelle, il faut tout de même reconnaître que l'humanisme et le talent de Kurosawa s'y ressentent bien. L'Idiot est un film que je vais certainement prendre plaisir à redécouvrir une fois les 934 pages du Dostoïevski avalées.