Il faut être patient devant l'Inconnu du lac, qui ne décolle vraiment que dans la dernière demie-heure, pour atteindre un pic esthétique (la dernière séquence) où se dévoile enfin toute sa beauté sauvage, ce qui le situe quelque part entre Tropical Malady (Weerasethakul) et Spring breakers (version gay).
Avant d'arriver à cela, le film s'inscrit dans une forme de naturalisme hardcore: il s'attache à décrire les rituels d'approche autour d'un lieu de drague homo (le lac et ses inconnus, comme le dit le titre), il scrute la diversité des anatomies (les corps sont plus ou moins jeunes, plus ou moins gras) et des désirs (des sexes dorment au soleil et se dressent dans les sous-bois). Parlons justement du sexe dans le film: les scènes de baise, nombreuses, ne sont pas toutes réussies, mais il faut tout de même saluer leur frontalité : aucune forme de romanesque ou même de récit (au début en tout cas) ne vient les justifier: elles existent de manière presque autonome, comme de purs instants de jouissance.
Quelque chose se met à décliner lorsque le couple qui s'est formé au bord du lac (Franck et Michel) éprouve un peu moins de plaisir à se retrouver, quand le temps de la jouissance n'est plus aussi souverain, quand la menace de la séparation commence à ronger les personnages, et le temps du film. A partir de ce moment (on entre dans la dernière demie-heure), la lumière d'été commence elle aussi à décliner, comme si les beaux reflets argentés du lac et l'utopie sexuelle qui l'entoure n'avaient été que des leurres. L'éternité espérée à travers la rencontre avec l'inconnu est un piège dans lequel le film et ses personnages s'engouffrent dans un immense mouvement mélancolique. C'est à cet instant que L'Inconnu du lac quitte le naturalisme pour faire apparaître une forme de romantisme sauvage et puissant. En voyant la dernière séquence lors de l'avant-première lilloise du lundi 3 juin, j'entendais, en même temps que l'appel tragique du personnage ("Michel?") le souffle suspendu de toute une salle. Un tel silence, si rare, suffit à dire l'intensité de cette séquence, intensité que le film doit à la trajectoire incroyable qu'il a accomplie, d'un lieu de drague ensoleillé du sud de la France à la jungle noire de Tropical Malady.
chester_d
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2013

Créée

le 4 juin 2013

Modifiée

le 6 juin 2013

Critique lue 527 fois

2 j'aime

chester_d

Écrit par

Critique lue 527 fois

2

D'autres avis sur L'Inconnu du lac

L'Inconnu du lac
pierreAfeu
9

Critique de L'Inconnu du lac par pierreAfeu

On mesure la richesse d'un film à sa manière de vivre en nous et d'y créer des résonances. D'apparence limpide, évident et simple comme la nature qui l'abrite, L'inconnu du lac se révèle beaucoup...

le 5 juin 2013

51 j'aime

16

L'Inconnu du lac
guyness
6

Des rives d’incontinents

Dans le but d’éliminer tout malentendu au sujet des lignes qui suivent, je me dois de préciser immédiatement la chose suivante: je suis hétéro. Virulent. Attention, ce postulat n’a rien...

le 7 nov. 2013

38 j'aime

46

L'Inconnu du lac
Pointofview
8

La Raison et la Passion - L'Inconnu du Lac [Spoilers]

Illustrant les déboires d'une petite communauté d'homosexuels lors d'un congé estival, l’œuvre d'Alain Giraudie s'ancre avec grande maîtrise dans une théâtralité totale, dont la constitution respecte...

le 17 juin 2013

38 j'aime

4

Du même critique

Les Garçons sauvages
chester_d
3

Expérience de laboratoire

En septembre dernier Bertrand Mandico réalisait le clip d'une chanson de Calypso Valois: dans ce petit film de cinq minutes, un esthète présentait à ses hôtes, lors d'un dîner, sa nouvelle...

le 10 mars 2018

35 j'aime

6

Trois souvenirs de ma jeunesse
chester_d
4

Feuilles mortes

Arnaud Desplechin a retrouvé ses vieilles lettres d'amour. Et avec elles les souvenirs d'une jeunesse studieuse, que son film situe entre le lycée Baudelaire de Roubaix et les couloirs de la fac de...

le 26 mai 2015

24 j'aime

Un homme idéal
chester_d
1

Les Pistolets de Pouchkine

Un homme idéal commence comme un conte social : un jeune déménageur (Pierre Niney) découvre dans une maison un manuscrit écrit par un soldat français pendant la guerre d'Algérie. Le texte, sobrement...

le 18 mars 2015

21 j'aime

7