Un inconnu qui gagne à ne surtout pas le rester

Précédé d'un excellent accueil à Cannes et de ridicules polémiques à propos d'une affiche qui heurterait les âmes sensibles, le quatrième long-métrage du réalisateur aveyronnais est bien un pur et objet de cinéma précieux qui croit en la force de son art. Un art magnifiquement servi par la format du cinémascope, un travail remarquable sur la lumière, la photographie, la bande-son composée de bruits naturels (le clapotis du lac, le vent dans les arbres, les déplacements dans les fourrés, les étreintes des corps) dont toute musique est aussi bannie. Dans ce qui ressemble à un éden terrestre et lacustre, un lac entouré de forêts dont les rives caillouteuses sont destinées au naturisme et à la drague homo, tout concourt à l'expression et à la satisfaction du désir sexuel.

Nus, ces hommes que rien n'éloigne de leur objectif (aucune distraction commerciale autour du lac, aucune occupation à part bronzer, se baigner, draguer et baiser) se rapprochent donc de manière organique de l'essence même de la vie. L'attirance physique fonde d'évidence la relation amoureuse et son extinction, souhaitée ou subie, la détruit aussitôt. C'est la première fois que le réalisateur de Pas de repos pour les braves aborde aussi directe et frontale l'homosexualité et ses codes, non pour les singulariser, mais au contraire pour les normaliser. S'exposant lui-même d'entrée complètement nu en livrant à la caméra les parties les plus intimes de son anatomie, Alain Guiraudie ne joue pas les bravaches, mais revendique le même esprit libertaire et picaresque qui a présidé à l'ensemble de son œuvre.

Il filme avec autant de tendresse et de soin les corps jeunes ou vieux, resplendissants de force et de santé ou déjà marqués par les ravages du vieillissement. Centré sur trois lieux (le parking où l'arrivée quotidienne des voitures marque le début de chaque nouvelle séquence, le lac et son rivage, les bosquets qui abritent les ébats), le film prend peu à peu les allures d'un thriller lorsqu'un corps est découvert sur les berges. Mort certes réelle, mais aussi symbolique d'un amour qui viserait l'habitude et la répétition et qui s'éteindrait dans la foulée. Qu'elle prenne une direction fantastique ou allégorique, qu'elle se dégage peu à peu du réel, la voie du maintien du désir vif et renouvelé est celle que foule Alain Guiraudie, pour notre plus grand bonheur. Celui de découvrir un objet véritablement unique, audacieux mais jamais vulgaire ou choquant, toujours sensoriel. Un huis-clos en pleine nature, élégiaque et philosophique, qui brasse modestement les thèmes éternels de l'amour, le désir, la vie et la mort.
PatrickBraganti
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le 12 juin 2013

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