Retour au bercail pour Hirokazu Kore-eda, après l'escapade française (Une vérité) et le crochet par la Corée du sud (Les Bonnes Étoiles). Mais on sent que le réalisateur en profite surtout pour repenser son cinéma. La thématique de la famille n'est pas abandonnée mais en filigrane, le premier plan étant tourné vers un jeu de perceptions. Trois, en réalité. Celle de la maman du jeune Minato dont le comportement inquiète sa mère, puis celle son professeur soupçonné de harcèlement à l'égard du petit garçon, et enfin celui de Minato (fantastique Soya Kurokawa). Une structure empruntée au Rashōmon de Kurosawa, et il faut bien reconnaître que si on en connaît les rudiments, alors les deux premières parties sembleront un peu longue. Mais ne pas négliger les nombreux éléments, indices ou motifs (un allume-gaz, la réincarnation, "monstre") semés çà et là. Arrivés au dernier segment, ils vont d'un coup prendre une tout autre signification et faire de ce récit à plusieurs voix une brillante allégorie sur la dissymétrie entre le monde de l'enfance et celui des adultes. À travers la mère ou le professeur, ce sont nos biais, filtres et préjugés - basés sur l'inattention ou la pression sociale - que le réalisateur révèle et oppose à la pureté de l'âge innocent. Sur ce point, le titre français est moins ambigu que le titre japonnais (Kaibutsu signifiant Monstre). Et si un seul visionnage suffit pour comprendre L'innocence, on aura envie de s'y reprendre à plusieurs fois pour l'aimer encore plus.