Le dernier film de Visconti, qui mourut alors que le montage n’était pas encore terminé, n’a pas bonne presse auprès de la critique. Même Alain Sanzio et Paul-Louis Thirard, qui ont consacré au maître italien un ouvrage de référence, parlent de L’innocent comme d’un film qui «n’est pas réussi, c’est le moins qu’on puisse dire: il est émouvant, par son existence même, par cette sorte d’aura testamentaire, par ce qu’il témoigne d’opiniâtreté créatrice». Visconti lui-même n’était pas particulièrement satisfait de cette adaptation très libre d’un roman de Gabriele D’Annunzio, un auteur dont il détestait la personnalité et les idées fascisantes tout en affichant de l’admiration pour son écriture. Pourtant, redécouvert quarante ans plus tard, c’est à un autre chef-d’œuvre de Visconti, que l’on est confronté, une fresque intime d’une stupéfiante beauté plastique dont le sujet particulièrement sordide risque toutefois de choquer si l’on ne connaît pas le dénouement de l’intrigue. Le résultat est un film ambigu, à la fois fascinant et dérangeant, sensuel et morbide, la description d’un amour destructeur anti-romanesque au possible (celui d’un mari pour sa femme) qui débouche sur la folie et le plus odieux des crimes.