L'Insoumis
6.1
L'Insoumis

Documentaire de Gilles Perret (2018)

Ou l'art de respecter les codes tout en voulant les combattre

Je ne vais pas trop m’attarder sur le documentaire en lui même car finalement, je n’ai pas grand chose à en dire (je le trouve en plus un peu plat et linéaire).
Pour être clair et sincère, je ne vois pas trop l’utilité réelle du film et de ce qu’il apporte. Je veux dire que, d’une part, il s’inscrit dans une catégorie de documentaires déjà assez fournie et d’autre part dont certains en disent bien plus ou en tout cas apportent des éléments plus tangibles (ex : Partie de Campagne sur VGE ou Le président sur Georges Frech).


Le réalisateur accompagne Jean Luc Mélenchon dans la période fatidique de la campagne présidentielle, et, au plus près du candidat, échangeant même parfois avec lui de brefs instants.
On voit donc rapidement que Gilles Perret ne prend pas la parti d’un Frederick Wiseman ou d’un Wang Bing, qui sont là sans être là tel des ethnologues en milieu naturel, en participant directement au film. Néanmoins, je trouve qu’il reste d’en un entre deux bancal qui ne satisfait finalement aucun des deux points de vue : être là dans une position d’extériorité et être là en participant à ce qui se déroule devant lui. En se mettant comme acteur du récit on constate par contre qu’aucune de ses (petites) interventions n’apporte réellement quelque chose, il ne questionne pas le candidat ni ne commente une situation ou des propos. L’effet est je trouve donc un peu problématique ou en tout cas frustrant.
Même du point de vue de l’homme, l’animal politique en scène et le personnage à l’arrière scène, tel qu’il est en dehors, je ne trouve pas que Perret apporte quelque chose de neuf au spectateur (de plus j'ai l'impression qu'on connait fort bien le candidat).
Nonobstant ces points, il est vrai, comme l’a fait remarquer un intervenant lors d’un entretien post séance avec le réalisateur, que le documentaire met bien en exergue la relative solitude du personnage, et même pourrait-on dire d’un candidat à l’élection présidentielle malgré tout le bruit de la campagne (on pourrait même parler de la relative fragilité de l’homme, ou plutôt la sensibilité d’un candidat malgré la machine que l’on doit devenir/être dans une telle entreprise). Une des séquences de fin est d’ailleurs particulièrement révélatrice, où l’on voit le candidat seul dans sa chambre et qui m’a un peu fait penser à tonton dans sa maison de campagne le soir de l’élection. M'enfin, tout ça on le sait ou on s'en doute bien !


Deux points me sont par contre revenus à l’esprit durant le visionnage du documentaire (entre deux endormissements).
Le premier concerne l’entourage du candidat. En effet, comme on le constate bien, l’entourage de ce dernier parait comme inexistant sinon plus qu’en retrait. On peut même dire que ses proches paraissent comme des « faire valoir » tout juste bon à recueillir la parole et acquiescer aux paroles de leur leader (quand Mélenchon parle, les autres écoutent, doctement). Un peu comme l’idée qu’on peut se faire de l’image du philosophe roi de Platon. Ce qu’on ne voit pas, c’est finalement des conseillers importants, des éminences grises, qui viennent proférer la bonne parole, apporter constamment des éléments de réponses, développer des stratégies, échanger sur le fond des grandes questions politiques, enrichir finalement le candidat. La seule séquence où l’on a un minimum d’interactions ascendantes est celle au bar où des proches lui conseillent une attitude à adopter. Pour autant, on se doute que ses équipes ont dû avoir une réelle importance, notamment dans le déploiement de la stratégie de communication du candidat, qui a sans doute été la plus moderne de tous les candidats et qui ne doit pas provenir de la tête un peu vieille France tout de même de Jean Luc (on parle notamment de proches partis suivre la campagne de Sanders aux Etats-Unis) mais, politiquement, on ne perçoit pas cette présence et l’impact de personnes tierces. On croirait voir Mélenchon en complète auto gestion et finalement complètement maître de lui même, n’ayant de réels conseils à recevoir de personne. Interrogé sur ce point, le réalisateur a toutefois expliqué qu’il a voulu privilégier les séquences au plus près de Mélenchon et non aux différentes réunions de travail organisées mais en semblant avouer que le candidat se débrouille un peu tout seul sur le terrain politique. Il me semble dommage en tout cas de ne pas avoir montré d’images de « travail » politique s’il en avait en stock, ce qui d’ailleurs serait resté cohérent avec le reste de son œuvre.
Le deuxième élément qui ressort du documentaire, qui renforce l’image que le candidat peut donner, c’est bien finalement le sentiment que ce dernier a parfaitement le profil pour être un candidat à l’élection présidentielle. Par cela, il me fait assez penser à un de ses mentors, François Mitterrand (dont il n’a d’ailleurs jamais réussi à se détacher malgré toute l’ignominie du personnage, bien que formidable politicien, et qui semble être aux antipodes de ce que pour quoi le candidat dit se battre …), qui lui aussi se drapeaux des oripeaux du progressisme en s’insurgeant contre un modèle institutionnel et politique inique. Monsieur Mitterrand fut « l’opposant » illustre à la Ve République un peu comme Jean Luc Mélenchon le semble aujourd’hui (fonctionnement anti « démocratique », « culte » de la personnalité etc.). Nonobstant ce fait, on se souvient que tonton s’est par contre parfaitement installé, pourrait-on dire même moulé, dans les habits confortables de la monarchie républicaine jusqu’à devenir lui même peut être Le modèle du roi républicain par excellence. Espérons en tout cas que JLM ne finisse pas comme son mentor ! Outre cette petite digression, il est en effet frappant de voir à quel point le candidat, malgré son côté clivant, répond aux critères d’un système électif. Mélenchon est un tribun (tiens, comme tonton même si dans un autre genre) qui sait et qui aime parler. Il est finalement, comme peu encore, qu’on l’apprécie ou non, un personnage médiatique charismatique (au sens « wébérien » comme diraient certains ?) comme le système électif, d’essence aristocratique (déjà depuis Platon et Aristote on le sait, comme diraient d’autres), pousse à mettre en avant et choisir ceux qui semblent les plus aptes, les « meilleurs », ceux qui se distinguent, et, dans un système médiatique où l’image est primordiale, où la présence et le verbe comptent (jusqu’à quel point ?), qui de mieux que des candidats « comme » Mélenchon ? (D’ailleurs, avec un autre candidat, aurait-on pu s’attendre à un score si haut et une mobilisation populaire aussi importante ?). Au-delà, Mélenchon, dans son genre, me fait aussi un peu penser à Sartre, l’intellectuel global –universel (comme dirait un célèbre chauve à lunettes) qui représente le « peuple » (JLM le dit d’ailleurs dans le documentaire il me semble), venu apporter la bonne parole et porter la bonne parole du bon peuple. Ainsi, le candidat semble parfaitement se mouler dans un ethnocentrisme de l’individu (on ne dira pas culte du chef) rendu nécessaire ( ?) dans (et par ?) ce système d’élection.
Les deux points susmentionnés m’amènent aussi à interroger l’idée et la revendication de plus d’horizontalité de certains « mouvements de la gauche » censés être aux antipodes de nos systèmes verticaux sclérosés. Des problèmes analogues sont aussi communs au mouvement Podemos en Espagne d’ailleurs (voire à beaucoup d’autres). Comment lutter, occuper une place médiatique et politique dans et contre un système, en prônant des valeurs et une organisation qui se veulent sinon inverses, au moins fortement différentes quand ce système ne semble finalement permettre (pour « gagner ») qu’un seul type d’organisation ? On pourrait donc trouver « paradoxal » le modèle de la France Insoumise, pendant longtemps entièrement tournée vers son leader et existant finalement, sinon intégralement, au moins en forte partie que grâce à sa personne, tout en prônant une horizontalité et semblant vouer une haine aux « partis traditionnels » auxquels pourtant le mouvement ressemble fortement ?


Voilà en tout cas ce que m’a rappelé ce documentaire. Comme quoi, même dans une œuvre où l’on cherche vraiment l’intérêt, on peut trouver des choses à dire.

Alexis_Bourdesien
4

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le 12 févr. 2018

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