Partie 1 :


https://www.senscritique.com/film/L_OEuvre_sans_auteur_Partie_1/critique/242542266


Florian Henckel von Donnersmarck, connu pour un bon film (La vie des autres) et un mauvais (The Tourist) s'affirme peut-être (enfin) ici comme un grand réalisateur avec cette fresque dense, qui brasse autant de thèmes que l'art et la recherche constante du Beau, l'amour, les traumatismes d'enfance, la folie, la mégalomanie, et, surtout, une relecture du passé sombre de l'Allemagne nazie, de la guerre, opposée au quotidien en RDA.


Ce premier épisode de cet ambitieux diptyque rappelle dans son approche le tout aussi réussi Heimat d'Edgar Reitz dans lequel était ausculté de près le quotidien rural de l'Allemagne du XIXème siècle à travers le regard d'un adolescent romantique rêvant de voyages et de beauté.
Cette Oeuvre sans auteur (Partie 1) présente plus ou moins le même postulat de départ, déplaçant son récit en ville et dans les heures les plus sombres de l'Allemagne, en offrant une vision tragique (une première partie assez terrifiante) où l'Art est d'emblée plombé et soumis à des mouvements politiques qui lui imposent chacun leur vision et leur censure, loin de l'angélisme naïf du romantique du siècle précédent où le Mal semble n'avoir pas encore été atteint.


Cet Art, s'il est supposé être la clé de compréhension du monde par sa frontalité avec le vrai (ne jamais détourner le regard) et la recherche éternelle du Beau dans cette vérité (d'où cette terrible première partie qui filme la folie et l'horreur du nazisme et, plus précisément, de son eugénisme des plus monstrueux), est ici bousculé, manipulé, tordu, jamais pris pour lui-même, toujours pris comme un moyen, comme le vecteur d'un message politique (cette ouverture sur les artistes décadents et dangereux, opposée à cette conclusion sur l'art communiste fondé sur la représentation du prolétariat, deux facettes d'une même vision d'un art de propagande).
Comme toute réflexion sur l'Art, le film est aussi une puissante réflexion sur son utilité, d'autant plus plongé dans ce contexte de nazisme où la vision eugéniste a poussé à des génocides atroces, mettant au cœur de sa justification l'utilité ou non d'une vie.


Qu'est-ce qu'une vie utile ? Pour qui l'est-elle ? Qu'est-ce qu'un art utile ? Pour qui l'est-il ?


Sur ces questions en miroir, Von Donnersmarck dresse un habile parallèle entre le personnage de Herr Professor Carl Seeband, incarnation trouble du Mal (un gynécologue, autant stérilisateur et condamnateur à mort que donneur de vie, et notamment, donneur de la plus belle des vies, celle de l'amour de notre héros), comme toujours parfaitement interprété par l'excellent Sebastian Koch, et de notre héros, jeune artiste prometteur, au talent divin.
Tous deux sont maîtres dans leur art respectif, tous deux assez mégalomanes ("Moi, moi, moi !" s'énervera un professeur de peinture, fervent communiste donc farouche défenseur de l'ego mis de côté au service du peuple), deux hommes qui chacun livrent leur vision sur le Beau, l'utilité.
Dans cette opposition, le réalisateur trouble son écriture pour mieux les mêler, leur faisant dire de la même manière "Je le fais car je le peux.", soulevant là encore une question primordiale aux échos très contemporains (l'évolution de la technique est-elle régie par l'impératif de la possibilité, se risquant à des dérives que l'Histoire et l'Humanité ont déjà connues, ou doit-elle s'accompagner de réflexions préalables, et s'imposer des limites ?)


Il laisse ainsi naître progressivement ce qui sera probablement l'objet du second volet, leur reconnaissance mutuelle l'un dans l'autre tout autant que leur rivalité pour une même femme (la fille de l'un, l'amour de l'autre).


Enfin, sachant transcender l'académisme formelle qui est le sien, Florian Henckel Von Donnersmarck livre un film de toute beauté, avec son lot d'images magnifiques, hypnotisantes, mémorables, montrant l'art au travail (et c'est si rare), captant le regard perçant de l'artiste et sa jeunesse vibrante et romantique, le tout accompagné par l'évidemment sublime partition de Max Richter.


Peut-être n'y a-t-il finalement rien de plus beau qu'un film sur la recherche constante de la beauté, ce thème forçant le ou la cinéaste qui s'y attaque à faire de même.


Partie 2 :


https://www.senscritique.com/film/L_OEuvre_sans_auteur_Partie_2/critique/242612096


Alors que la fin de la première partie semblait faire saillir la rivalité autant que la ressemblance entre le protagoniste et son beau-père, celle-ci n'est finalement qu'une part de cette seconde partie qui se concentre peut-être plus sur l'appréhension de la vie et de l'Art par le jeune Kurt devenu adulte et passé à l'Ouest.


D'une Allemagne austère, froide, celle de la RDA communiste, on passe à la RFA, où les vitrines aux produits exportés d'Amérique remplacent les murs sales et les fresques à la gloire du prolétariat, où les costumes fades et cintrés laissent place aux styles colorés et divers. D'une certaine façon le film perd un peu de son charme qui était, on s'en rend compte, lié à l'esthétique communiste et à l'ambiance de l'Allemagne de l'Est, moins connue que celle de l'Ouest, moins américanisée.
Le capitalisme fait naitre les désirs, modifie les modes de vie, brouille les repères, fait naître des vices. Nous sommes aux débuts d'un monde qui pousse tous les autres à la fin. Kurt doit ainsi trouver sa place, celle d'un homme, celle d'un adulte, celle d'un époux, celle d'un artiste, celle d'un travailleur (devenu comme son père sans le même destin tragique), dans ce monde étrangement plus hostile que l'URSS qui, par son absence totalitaire de choix, ne créait pas d'envies, de jugement, d'inégalités, et, en étouffant, protégeait.


**Florian Henckel von Donnersmarc**k poursuit sa lecture d'une Allemagne bipolaire, tournée vers un passé tragique et violent qui la rattrape toujours (matérialisée par le beau-père, ancien docteur nazi et tortionnaire, dont la fille dit "Il ne nous lâchera jamais !") tout autant que projetée vers un avenir radieux, libertaire et en déni de son histoire.
Par son étude des mouvements d'art moderne qui apparaissent alors en Allemagne, le réalisateur fait en filigrane le portrait d'une jeunesse qui décide, pour survivre et exister indépendamment de l'Histoire de son pays, de lui tourner le dos. On assiste donc à un art de la destruction, un art qui ment et qui tue ses ancêtres ("La peinture est morte" dira-t-on à de nombreuses reprises), un art qui n'a plus de discours, qui n'a plus rien à dire, qui n'a plus qu'à être, et qui se cherche continuellement.
Cette absurdité de l'époque est celle de son Art.
Les jeunes Allemands d'alors sont aussi déterminés que perdus, aussi conscients qu'aveugles à leur passé, aussi désireux que lassés.
D'où une partie brillante par son analyse, mais probablement moins délicieuse, car moins portée sur la recherche du Beau, plus sur la recherche du son du concept d'utilité (on en revient au thème de la première partie), délivrant par l'art moderne une absence de discours et un regard ironique fatigué parfois grinçant


Dans cet univers nouveau, Kurt doit trouver son chemin, trouver sa voie, trouver son Art.
Il prend souvent des risques (se risquant à Düsseldorf où on lui a précisément conseillé de ne pas aller ou dévoilant ses créations à son professeur connu justement pour ne jamais regarder les œuvres de ses élèves), trébuche parfois, mais se relève toujours lorsque l'Art reprend le dessus sur une existence qui ne vit que pour cela (le juste équilibre entre désarroi amoureux et syndrome de la page blanche contre la vigueur sexuelle et la pleine inspiration artistique).


Le film s'ouvre sur un Art qu'on efface, qu'on fait disparaître, sur lequel on repeint.
Un Art d'époque qui, par définition, n'est que passager, voué d'emblée à mourir.
Il se clôt pourtant sur un Art enfin né, enfin trouvé, après avoir capturé comme jamais (dans une scène en atelier d'une pure beauté, qui laisse place au geste, au regard et aux traits) sa naissance, son éclosion, un Art qui pousse et guide comme une rafale de vent, dépasse l'homme artiste, ce -dernier ne devenant plus qu'un pantin au service d'une force quasi divine qui lui serait supérieure mais intérieure, un art qui naît de la résurgence d'un passé, et de sa destruction, ou du moins de son floutage.


Kurt a trouvé sa voix, dans le vrai et dans sa beauté, tout ce que le film distillait et rappelait tranquillement tout le long de son histoire.
L'œuvre sans auteur n'est qu'un mensonge, le silence de son artiste cache le désarroi d'un homme face à la tragédie passée et le traumatisme d'enfance. Le Vrai, malgré sa violence, et le Beau se confondent, ne sont finalement qu'une même entité.
Le film se clôt alors habilement en bouclant sa boucle, finissant là où tout avait commencé, reprenant cette sensation originelle, retrouvant sa teinte bleue d'alors et, par le passage derrière un grillage qui rappelle la technique utilisée par Kurt pour peindre les photographies qu'il sélectionne, la vie devient son propre tableau.


L'œuvre sans auteur est un film fleuve d'une immense beauté, qui passe terriblement vite, bien trop vite, une œuvre nécessaire sur l'Art, sur l'Histoire, sur l'Amour, sur la Beauté, et le rapport au Vrai, une histoire en apparence sans enjeux, toujours simple, sans violence malgré son sujet, sans accroc scénaristiques faciles.
Une histoire tout simplement belle pour une œuvre riche sans jamais être complexe.

Charles_Dubois
9

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le 24 févr. 2021

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Charles Dubois

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