La salle s'obscurcit, les soutiens du film s'affichent à l'écran. Passés les logos des producteurs, on aperçoit celui de l'agence cinématographique du gouvernement ukrainien. L'Ombre de Staline sera donc un film à charge, le porte-voix d'un peuple meurtri.
L'Ombre de Staline retrace le destin du journaliste gallois Gareth Jones, qui, envoyé en URSS pour interviewer Staline, voit son attention dérivée vers l'Ukraine où l'Union Soviétique semble dissimuler un lourd secret...
Dans la première partie de ce récit, on découvre un journaliste talentueux et légèrement candide, à l'aube de sa carrière internationale. Ce dernier est dés les premières minutes présenté comme un outsider, seul à défendre sa vision (le monde s'acheminerait vers un second conflit mondial). C'est alors qu'il commence à s'intéresser à l'URSS, stupéfait par la réussite économique fulgurante de ce jeune Etat.
A son arrivée à Moscou, il découvre un univers intriguant, plein de secrets et de sourires affichés. Cette ambiance est justement rendue par le film, les plans sont assez sombres, mais cette obscurité est entrecoupée par des passages de lumière, comme une fête mondaine rappelant les années folles occidentales, ce qui instaure une atmosphère crépusculaire.
C'est dans cette première partie que Mr. Jones est confronté à la légèreté de ses confrères sur place, qui semblent s'accommoder d'un régime politique autoritaire et censeur.
La deuxième partie du récit confirme les pires craintes du héros, il se retrouve plongé dans une Ukraine enneigée et jonchée de corps squelettiques, où le cannibalisme est courant (rappelons à ce titre que les faits présentés dans le film sont loin d'être isolés, l'autorité soviétique ayant été jusqu'à imprimer des affiches mettant en garde: "Manger son enfant est une abomination"). La réalisation est ici parfaitement maitrisée, elle nous confronte de manière directe à l'horreur vécue par le peuple ukrainien, sans avoir recours à des procédés mirobolants. Les regards des ukrainiens rencontrés suffisent à témoigner du mal qui sévit.
La troisième partie du film est sans doute la plus intéressante: elle se concentre sur l'incrédulité et le mépris du public et des puissances étrangères face au témoignage du journaliste. On y retrouve le personnage de George Orwell, qui a fait plusieurs apparitions tout au long du film pour citer certains passages de son célèbre ouvrage La ferme des animaux qui dénonce le totalitarisme stalinien. Le film assume de s'appuyer sur les écrits d'Orwell, s'ouvrant sur une scène assez triviale où des cochons semblent se jeter sur de la nourriture, et se concluant sur une autre citation du livre. Cette participation confirme la double visée du film: loin d'être un simple témoignage neutre d'un évènement historique marquant, il est une critique virulente du totalitarisme communiste et des utopies du siècle dernier.
L'ombre de Staline est une réussite, il parvient à remplir son rôle de "film à message" sans tomber dans la caricature. Un hommage saisissant aux victimes de l'Holodomor, également adressé aux changeurs de monde pour qui "la fin justifie toujours les moyens".