Ce film, je l'ai vu pour la première fois dans un ciné-club alors que j'étais étudiant ; j'avais alors été bouleversé par ce film ; presque cinquante ans plus tard, je suis toujours aussi touché par le caractère symbolique et initiatique de ce film, de ses tableaux et de ses portraits.

D'abord, l'histoire est d'une grande banalité ; suite à un acte de bravoure sur le front, le très jeune soldat Aliocha se voit octroyer une permission de 48 heures, hors délais de route estimés aussi à 48 heures, pour revoir sa mère. Mais entre les aléas et les rencontres qu'il va faire, Aliocha ne pourra rester que quelques instants juste le temps d'embrasser sa mère avant de repartir pour le front. Mais cette banalité même va faire toute la richesse du film car le destin d'Aliocha est scellé dès le début par la voix off qui montre la mère qui regarde la route d'où son fils ne reviendra pas. On dira alors qu'il n'y a pas de suspense. Eh bien si. Le suspense réside dans cette balade où les instants sont comptés et où Aliocha ne cesse d'aider, rendre service et même découvrir les prémices d'un amour pour une jeune fille, Choura.

Cette "ballade" est un véritable chemin initiatique où il rencontrera des personnages attachants comme le soldat qui a peur de rentrer chez lui et retrouver son épouse alors qu'il a été amputé d'une jambe. Il faudra la réaction véhémente – et magnifique - de la jeune postière pour secouer et donner l'impulsion nécessaire au soldat pour rejoindre son foyer. À l'inverse, un camarade du front lui ayant confié un message pour son épouse fera découvrir à Aliocha une autre réalité en trouvant la femme en ménage avec un autre homme.

Et puis il y aura la rencontre avec Choura. J'ai rarement vu au cinéma une scène aussi pudique entre deux jeunes adultes (ou de vieux adolescents !) où tout s'exprime dans des non-dits, des regards, des cheveux de l'une qui balaie le visage de l'autre. Mais c'est absolument somptueux. Le tout servi par une musique – slave – fort à propos. Tout y est, de la candeur à la maladresse. La peur de Choura face à un soldat (forcément de réputation douteuse), le dévouement et la tendresse naissante d'Aliocha. Les aveux en demi-teinte ! Aliocha avec le foulard qu'il rapporte à sa mère et Choura qui ne va pas rejoindre un fiancé aviateur qu'elle avait inventé pour se protéger. Les regrets postérieurs de chacun de n'avoir pas su être plus explicites.

Les deux acteurs (Aliocha et Choura) sont des novices en la matière. Le fait d'avoir pris des acteurs aussi jeunes se révèle être un atout pour exprimer la fraîcheur des sentiments et la spontanéité de leurs gestes.

Le film est un film de guerre mais où la guerre n'est pas vraiment visible sinon dans ses conséquences collatérales : les destructions de maisons ou de ponts, les restrictions alimentaires ou autres (le savon est une denrée rare), les familles qui fuient les zones de combat. De ce point de vue, le film apolitique se positionne sur un registre humaniste. La question que la mère d'Aliocha, veuve de son mari mort à la guerre, pose à son fils "pourquoi ? Aliocha !" ne trouvera évidemment pas de réponse mais interroge quant à l'absurdité de la guerre.

Film que je rapproche intensément du film de Douglas Sirk, tiré d'un roman de Remarque "A time to love and a time to die".

Sublime.

Un incontournable film de guerre.

JeanG55
9
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le 30 janv. 2023

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JeanG55

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